Reconnaissons qu'en matière de nu-soul à la française nos artistes sont peu nombreux à pouvoir rivaliser avec les stars américaines du genre (Jill Scott, D'Angelo ou Amp Fiddler pour ne citer que les plus connus). Certes, beaucoup aimeraient acquérir un tel niveau de compétence, mais rares sont ceux qui y parviennent avec talent. Il faut dire que l'exercice n'est pas facile et semble se prêter plus volontiers aux phrasés anglophones qu'à notre bon vieux patois gaulois au swing incertain. Du coup, pour combler cette évidente lacune linguistique face à laquelle le style nu-soul semble avoir définitivement tourné le dos, et compte tenu d'un marché du disque de plus en plus instable, les majors françaises se sont engouffrées dans un crédo très rentable et un peu plus facile d'accès pour le public hexagonien, le R&B franco-américain. Bon comme un Mc Do, uniforme à souhait, il n'en fallait pas plus pour que déferle sur les ondes tout un panel de pseudos chanteurs éphémères grimés de l'étiquette "artistes", tous plus pathétiques les uns que les autres, aux productions étrangements proches de leurs consoeurs "américaines", et dont la carrière ne durera bien souvent que le temps d'un album (on aurait d'ailleurs aimé qu'ils chantent plus souvent en anglais pour nous épargner leurs textes d'adolescents tristement incultes). Le concept est efficace et assure un maximum de rentabilité en un minimum de temps, reste que la qualité fait cruellement défaut et n'aura pas manqué de choquer la majorité d'entre nous (et là je ne parle que de ceux pour qui la musique a un sens). L'industrie est contente mais nos oreilles le sont moins. Mais qu'importe, car en cherchant bien il est toujours possible de dénicher la perle rare, celle en qui résonne une crédibilité sincère et vraie, ce petit espoir de vie encore présent dans ce marasme et cette médiocrité ambiante. Du talent, on en avait déjà trouvé chez Sandra Nkake avec son album soul à l'atmosphère chaudement jazzy, "Mansaadi", paru en 2009, mais avant elle, et dans un style nettement plus hip-hop, était apparue Dajla, chanteuse et musicienne française dont le premier disque "Soul Of Poetry" sorti en 2007 avait fait pas mal parler et reçu de très bonnes critiques (en écoute ici). Etonnamment pourtant (raison pour laquelle j'en parle aujourd'hui), je ne la retrouve que très rarement mentionnée dans la presse spécialisée ou sur les blogs de mélomanes exigeants. Je répare donc cette "injustice" de mes modestes moyens, et vous propose maintenant de profiter de quelques créations talentueuses de cette artiste à l'âme soul et au groove certain.
Lors de la parution du EP "The Motherland" en 2008, je n'ai même pas pris la peine de l'écouter avant de décider de l'acheter, sûr d'y trouver ce que j'en attendais. De la fraicheur, une envie, sans doute la continuité de "Soul Of Poetry" que j'avais déjà trouvé très convaincant 1 an plus tôt. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, la réalisation reste inchangée et comprend comme à l'accoutumé Benji Blow (Benjamin Bouton), producteur à qui revient également la charge d'arranger les titres joués live, et Dajla (traduction arabe de tigre), qui écrit et compose une partie des morceaux présents sur les albums (2 au compteur en 2010). Ce EP de 4 titres pour 18 minutes leur aura sans doute permis de faire patienter les fans avant la sortie de "The Meaning Of Life" en 2009. Encore une fois, il puise son originalité dans des influences diverses et variées, s'inspirant de la soul, du hip-hop, du jazz ou de la musique africaine. Pour rester efficace et continuer de charmer l'auditeur, ce creuset reste indissociable de l'esprit des productions américaines et utilise lui aussi toutes les ficelles artistiques en vogue lui assurant sa réussite et sa marque de fabrique. Des beats séquencés façon Jay Dee auxquels s'ajoutent de vrais instruments, des samples, quelques refrains accrocheurs, le tout interprété par Dajla dans un style chanté ou parlé (spoken word), en anglais (merci), très loin de la soupe verbale dont nous affligent certains crooneurs du dimanche. Interview commune des 2 protagonistes tirée de Mac&Guitare. Dajla: «Pour ce qui est des musiques, nous nous partageons le travail ! Je compose les titres les plus "chanson" parfois au piano, parfois à la basse...Puis j’écris les textes que m’inspire la musique». Benji: «Pour le choix des textes, c’est vrai que les ressources sont inépuisables...Côté musique aussi en fait, car nous ne puisons pas que dans le Jazz, la Soul et le R&B, mais dans plein d’autres styles qui nous touchent tout autant, le rock de Led Zep ou Jimi Hendrix, le hip hop des Roots, de Common, le blues de Ali Farka Toure, le reggae, le ska...» Si la réussite en matière de nu-soul dépend en grande partie de la qualité de ses productions comme de la pertinence de son corps, reste encore à ne pas tomber dans la facilité pour vraiment se différencier du reste de la troupe. Car les places sont chères et l'originalité rare, le plus dur étant sûrement de parvenir à apposer sa marque de fabrique personnelle sans aller simplement au devant d'un conformisme facile pompé explicitement chez nos confrères américains.
Dajla pour sa part s'en sort vraiment bien, et même si le style n'est pas fondamentalement révolutionnaire, il a la franchise de son honnêteté et la sincérité de son ambition. Pour en revenir au EP qui nous intéresse, je pense que vous ne regretterez pas le voyage et que vous saurez apprécier le travail fourni tout comme la production soignée qu'il contient.
Officiel