“30 000 expulsions c’est la honte. Il en faut 300 000” – Slogan identitaire.
Caractéristique saillante de la France contemporaine, son incroyable capacité à s’accommoder de “fromage national” comme le darde E. Todd. Une situation qui trouve ses ferments dans l’incapacité des responsables aux affaires à trouver des prises sur le réel. Le réel c’est-à-dire les problèmes massifs qui frappent les citoyens. Au lieu de cela, une certaine facilité consiste à trouver un refuge nauséabond dans des sujets, certes centraux concernant les fondements de la vie en société, mais que l’on jette en place publique comme de fausses pistes dont on sait qu’une meute se plaira à renifler. Une meute dont certains éléments dit de gauche sont facilement identifiables, aux allégations ante vomitifs qui leur tient lieu de préambule “je suis un militant antiraciste, mais…”, “j’ai des amis arabes (ou musulmans c’est selon) mais…”. Parmi ces fausses pistes l’invraisemblable montage médiatique concernant les prières de rue. Précédant une longue liste. Symptomatique d’un air du temps.
Une fois n’est pas coutume le quotidien Libération s’est retrouvé en première ligne. Il aura fallu deux semaines d’hystérie médiatique pour que l’on se penche sur les réalités du séisme initié par la représentante du Front National. Car sur le fond de l’affaire, les prières dans les rues, il pourrait se trouver une position commune et “républicaine” à base de “pourquoi”. Au lieu de cela, on assiste à un basculement prosaïque qui confine au simplissime dont se repaissent les fast-thinkers qui inondent l’opinion de leur opinion. En l’occurrence, de la constatation ponctuelle extrêmement minoritaire d’un fait précis, on en arrive à la vertigineuse question, “est-ce que vous toléreriez la présence quotidienne de prières au pied de votre immeuble ?”. Un recodage dont on suppose l’incommensurable amplitude, qui elle-même entraîne la consternante conclusion. En l’espèce, “non c’est intolérable”. Et là, non pas parce que les principes sacro-saints de laïcité sont hardiment bafoués, mais parce que spécifiquement induite par des raisons de convenances. Voire même d’hygiène paysagère. Il est probable que ce sont à ces petits riens que l’on distingue le chavirage d’une société. De l’insouciance due à la certitude dans ses valeurs (liberté et égalité) à l’atterrante paranoïa d’un groupe assiégé quand il ne sent pas infiltré.
Car de ce débat piégé sur la prière de rue, tout est bon pour faire un marchandising de la haine dans une focale médiatique où prospèrent le cliché, mais surtout les conclusions hâtives. Car de faits isolés (il est bon de le répéter), minoritaires au concept massif d’islamisation, la pente est pentue. Très. Surtout pour des esprits raisonnables, rationnels. Pour se véhiculer jusqu’à la culminante conclusion souhaitée (et souhaitable), il est commode d’user de gros concepts, de grosses ficelles, voire de cordes à nœuds. Car au final, d’une sortie Le Peniste, il ne faudra jamais oublier qu’elle fut reprise massivement par les médias. Confinés dans un unanimisme gêné, les propos frontistes donnent le sentiment aux paresseux de la médiasphère de soulever des questions pratiques, qu’il faut absolument traiter sous peine de faire le lit du FN. Une prise d’otage idéologique totalement aboutie. En désemboitant les poupées russes du mépris, on trouve M. Le Pen qui met sur orbite le bloc identitaire, dont I. Rioufol éditorialiste du premier quotidien national donnera un écho pour le moins favorable post symposium (“Je n’y ai vu ni excités, ni intolérants, ni fachos, ni racistes, mais des gens s’inquiétant des abandons de la République sur la laïcité.”) dans une de ses tribunes, et qui par la bande en profitera pour illustrer d’une voix moins bestiale ses allégations par le biais de M. Tribalat*, sociologue…
Enfin, quand un journaliste de RTL interviewe M. Le Pen, c’est encore pour lui parler de laïcité. Mais d’une laïcité particulière. Loin de l’esprit d’ouverture qui habitait la loi de 1905. Quand on s’adresse au leader français du second parti xénophobe, et que l’on croit bon d’endiguer la montée de haines, on cite comme exemple la verbalisation de la conductrice voilée prise en flagrant délit par la maréchaussée, pour affirmer que l’on s’occupe de laïcité dans l’espace public. Une laïcité punitive et sécuritaire. Que l’on administre à coups de contraventions et de lynchage télévisuel. Quand on questionne T. Mariani, autre représentant de la droite des confins sur les musulmans, il convient, propret, que dans sa ville on a construit une mosquée “ressemblant à une villa provençale”. Ivre de sa victoire symbolique sur l’envahisseur qu’il a réussi à camoufler dans le paysage. Mais surtout il oublie les propos de son mentor, l’homme fort, qui au sujet du vote contre les minarets en Suisse déclarait comprendre le mouvement, en évoquant l’aspect dénaturant que causait l’irruption de l’islam dans leur cadre de vie ou les relations sociales…
La laïcité punitive qui émerge en France se caractérise par la mise en place de lois de plus en plus restrictives en direction d’une communauté bien spécifique (voile à l’école, burqa). Par delà se produit une stigmatisation médiatique prétendant pourfendre la bien pensance angélique en exposant de “vrais problèmes”. Des mots d’ordres facilitants qui accompagnent des positions pas tout à fait avouables encore (mais pour combien de temps ?), mais encore punies. L’islamophobie est un vecteur pratique, le discours raciste étant lui l’objet de sanctions pénales. Un cryptage simple qui englobe Arabes, subsahariens, immigrés basanés, athées ou pas. Un second degré qui permet à tous de se retrouver sous les bannières éclatantes du droit des femmes, de la laïcité voire même de la liberté et la tolérance. Derrière les appels à l’expulsion des filles voilées, par exemple, se cache majoritairement une xénophobie plus générale (plus de 80% des cas selon N. Mayer s’appuyant sur un sondage de la commission consultative des droits de l’Homme**). En somme, l’alliance du religieux et de l’ethnique pour légitimer une position politique : Celle du racisme.
*“Plus personne ne parle librement de la question de l’islam sans crainte d’une poursuite ou d’une menace” dans le Talk-Figaro-Orange du 20 décembre 2010. Diffusion titrée sur le site du Figaro : “Le Pen soulève un problème réel”
**Là se situe le hic. Que viennent faire les 20% de progressistes qui apportent crédit aux xénophobes dans ce marigot ?
Vogelsong – 23 décembre 2010 – Paris
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