Par GUILLAUME LAUNAY et ALEXANDRA SCHWARTZBROD - http://www.liberation.fr/
Huit ans après la marée noire de l’«Erika», le tribunal correctionnel de Paris condamne Total et instaure le principe de «préjudice écologique».
Un frisson a parcouru la salle surchauffée, quand, après une heure de lecture du jugement, le président du tribunal a déclaré «coupables» quatre des prévenus, dont Total. Coupables de la pollution causée par le naufrage du pétrolier Erika, le 12 décembre 1999, au large des côtes bretonnes. Huit ans après une marée noire désastreuse pour l’écosystème comme pour le tourisme, le jugement prononcé hier par le tribunal de Paris est en effet historique.
C’est la première fois que la notion de préjudice écologique trouve une traduction dans le droit français et surtout qu’une compagnie pétrolière, en l’occurrence Total, est condamnée pour sa responsabilité dans une pollution maritime. «Quelque chose est en train de se passer. La nature a aussi un prix collectif qu’on est en train de défendre de façon nouvelle, s’est félicitée hier l’ex-ministre de l’Environnement, Dominique Voynet. Ce n’est pas seulement la conséquence du Grenelle de l’environnement, c’est le fruit d’une mobilisation générale.» L’actuel ministre de l’Ecologie, Jean-Louis Borloo, a lui aussi salué une «décision qui marque une étape très importante. Comme l’a rappelé le Grenelle, la notion de responsabilité est au cœur du développement durable».
Sueurs froides. Le jugement rendu hier implique en effet que les dégâts causés à la nature peuvent être indemnisés. Un précédent qui donne des sueurs froides à tous les pollueurs potentiels. Mais qui réjouit les défenseurs de la nature. «Nous pouvons désormais demander réparation pour ces dégâts, a déclaré Maître Alexandre Faro, défenseur de plusieurs associations. Reste maintenant à définir des règles précises d’indemnisation parce que les dommages estimés ici l’ont été un peu à la louche.» Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux, l’association la mieux indemnisée, précise : «Nous avions proposé un modèle d’indemnisation fondé sur la fragilité des espèces [80 à 150 000 oiseaux sont morts après la marée noire, ndlr] mais qui n’a pas été retenu. De toute façon, l’euro symbolique m’aurait autant satisfait. L’important, c’est la reconnaissance du préjudice écologique.»
«Signal». Pour Total, en revanche, cette condamnation n’a rien de symbolique. Le jugement assure que la compagnie pétrolière a commis une «faute d’imprudence» qui a eu «un rôle causal dans le naufrage» de l’Erika. A ce titre, elle a écopé de l’amende maximale prévue pour le délit de pollution. «Ayant vérifié que l’Erika remplissait les conditions de sécurité qu’elle avait définies, la société Total SA ne peut affirmer qu’elle n’a disposé d’aucun pouvoir de contrôle alors qu’elle l’a, de fait, exercé», précise le jugement, évacuant ainsi les dénégations de la compagnie. «On s’est battus pour que tous les acteurs de la chaîne soient jugés responsables, dont Total qui avait fait le choix de donner son feu vert à un bateau poubelle, s’est félicité Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement et avocate des collectivités locales. C’est un signal donné à toute la profession.»
Le jugement souligne d’ailleurs que le fait que «les pratiques des compagnies concurrentes aient été sensiblement identiques est indifférent». Ce qui implique, comme le note l’avocat de Total, que les pétroliers du monde entier vont devoir prendre acte de ce jugement et se réorganiser. Chez Greenpeace France, on s’en félicite: «Ils pensaient avoir blindé un système de déresponsabilisation, ils ont désormais à répondre de leurs pollutions, pointe Yannick Jadot. Sur le principe pollueur-payeur, on avance».
La responsabilité environnementale des entreprises est donc plus que jamais au cœur du débat en France. «On a eu Monsanto la semaine dernière sur les OGM. Là, c’est Total, s’enthousiasmait hier un militant associatif. La semaine prochaine on se fait Areva ?»