• le courant antilibéral et altermondialiste rejoint nombre de catholiques et de serviteurs d’Etat dans mépris du commerce, haine de l’argent et de la société (mode, marchandise, médiatique). Comme Rousseau, ils prônent l’austérité de mœurs (mais conservent quand même la propriété petite-bourgeoise).
• les écologistes comme nombre d’éducateurs (surtout après 1968, un peu moins aujourd’hui) sont séduits par l’idée que la nature fait l’homme « naturellement bon » et que « la société » dans tout ce qu’elle représente (l’artificiel, l’industriel, le marketing, la contrainte morale) rend les gens malheureux. « Il n’y a pas de malheur dans la nature », affirme Rousseau (un peu légèrement à mon avis…)
• les souverainistes (Seguin, Chevènement, Guaino) tiennent à cette fiction de la « volonté générale » pour justifier leur refus qu’un citoyen français puisse saisir un juge en exception d’inconstitutionnalité (comme cela se pratique dans les pays développés de culture proche) ; ils refusent également toute idée de fédération européenne ; ils voudraient sanctuariser « dans la Constitution » tout ce qui peut faire polémique (précaution, discrimination, mémoriel…).
• les bonapartistes (et gaullistes) pour qui les divisions et les partis sont « le Mal Français » voient dans l’indivisible souveraineté de Rousseau le fondement théorique de leur croyance en l’Etat-nation absolu. Mais la référence qui leur est chère, la Résistance, fut un mythe gaulliste et communiste plus qu’une réalité « unanime »…
• Ségolène Royal justifie ses « jurys citoyens » et ses « forums participatifs » par la souveraineté « inaliénable ». C’est aussi le cas pour l’Exécutif UMP quand il exige du Parlement de voter sans contestation tous les textes émanant du gouvernement.
• Notons que le tropisme personnel de Rousseau le poussait vers une souveraineté certes « générale » mais un gouvernement « aristocratique ». Ce type de régime a été le rêve des saint-simoniens et… la réalisation des technocrates d’aujourd’hui sortis de l’ENA. Ils sont un peu moins à la fête sous Nicolas Sarkozy.
Benjamin Constant a critiqué fort justement le mythe Rousseau. Mais, comme dirait le caporal en tailleur blanc, « qui connaît Benjamin Constant ? ». Il distingue pourtant la liberté des Anciens de celle des Modernes :
• Chez les Anciens, Lacédémoniens ou Romains, souvent en état de guerre les citoyens étaient sous mobilisation constante. Ils participaient aux décisions politiques par « assujettissement des individus à l’autorité de l’ensemble. » Aucune action ne pouvait rester privée mais toutes étaient « soumises à une surveillance sévère ». Dans ce type de communauté, la société est tout, l’individu un organe : « Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. »
• Chez les Modernes, vivant en sociétés complexes et incomparablement plus nombreuses, les citoyens ont une autonomie et le droit individuel de faire ce qu’ils veulent, dans le cadre de la loi. La différence est le droit établi, qui surplombe la société. « Notre liberté, à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée. »
Par cette distinction, célèbre en science politique, Constant remet Rousseau à sa place d’idéaliste : le droit écrit, concret, discuté et régulièrement amendé par les assemblées, doit primer la vague « volonté générale » unanimiste et manipulable à merci par n’importe quel démagogue (de tribune, de grands mots ou de media). Pas de « mobilisation citoyenne » constante et pour n’importe quoi, mais le libre exercice par chacun de ses droits et initiatives, sous la régulation de la loi.
Benjamin Constant apparaît bien plus moderne que Jean-Jacques Rousseau… et fait apparaître les mœurs de la Vème République française comme archaïques, peu « démocratiques » par rapport aux pays voisins, et inadaptées à l’adhésion de citoyens désormais éduqués qui n’ont pas besoin de tuteurs, d’adjudants, de profs, de curés ou d’intellos qui leurs disent ce qu’ils doivent faire.
Le dernier avatar rousseauiste accouché par la république française est celui des zozos de Zoé. On a suivi la piteuse épopée de cette équipe de naïfs roublards, partis en croisade millénariste pour « sauver » des enfants « orphelins » dans un pays « dévasté » et qui se sont retrouvés pris pour tentative d’enlèvement d’enfants en bonne santé, muni de famille et même pas du Darfour ! Tout en maquillant l’erreur en faux blessés « humanitaires ».
On y retrouve les mythes de Rousseau :
• L’enfant « page-blanche », innocent et heureux si la société lui est bonne
• La « volonté générale » de sauver les gens malgré eux
• L’utopie du déracinement, pierre angulaire de l’intégration républicaine
• La pulsion d’urgence, la passion de « mission »
• Le sentiment ancré et arrogant de seul détenir la Vérité universelle et d’être champion du Droit de l’Homme
• Le fonctionnement sectaire, qui nie la réalité pour préserver la bonne conscience et même la foi dans son « bon droit » universel.
L’humanitaire ainsi entrepris est dévoyé. Sa fonction première est de préserver la vie et de restaurer l’être humain pour qu’il soit capable de choisir son existence – pas de régenter les miséreux au nom d’une utopie. Aider les autres, ce n’est pas se faire mousser.
Un excellent texte publié sur laviedesidees.fr analyse les Zoé de l’Arche : « Leur droit à eux, c’est celui que s’octroyaient les services sociaux au XIXe et au XXe siècle afin de faire reculer les attributions des parents : à cette époque, en effet, la France s’est dotée d’un arsenal législatif propre à surveiller et, si nécessaire, disloquer la famille des milieux populaires. C’est pourquoi, quittant des yeux l’actualité brûlante, il faudrait évoquer tous les transferts d’enfants qui ont bel et bien abouti, dans les campagnes françaises, à la Réunion et ailleurs ; il faudrait décrire toutes ces transplantations ratées, descendre dans tous ces enfers pavés de bonnes intentions… »