Jamais l’Europe n’a été aussi proche de son propre effacement. La crise a fini d’ébranler les piliers de l’édifice. Comment expliquer cette incroyable situation où une zone monétaire – la nôtre – est fragilisée, malgré des déficits bien moindre que ceux Etats-Unis et avec une parité qui reste surévaluée par rapport aux devises des pays excédentaires, comme le yuan chinois ? N’allons pas chercher dans les lois de l’économie, la cause se situe dans les rapports de force de la politique ! Les marchés, sont comme les êtres humains, ils sont sans pitié avec les faibles !
L’Europe, entendons les chefs d’Etat et de gouvernement concernés, a ces dix dernières années, commis trois erreurs majeures. La première a été d’élargir l’union sans avoir changé profondément ses institutions. La seconde a été d’écarter l’idée d’un noyau dur, d’un premier cercle, d’un pôle central – qu’importent les termes – qui aurait permis d’harmoniser la fiscalité, de coordonner les politiques, de porter des projets industriels, écologiques, éducatifs , d’aller plus vite et d’entraîner l’ensemble. Enfin, et c’est là, la faute la plus grave : avoir imaginé une monnaie unique avec une banque centrale indépendante – c’était la condition – sans autorité politique, sans convergence fiscale, sans surveillance effective des politiques budgétaires, sans gouvernance dans la stratégie de change, sans solidarité financière automatique. Bref, d’avoir laissé une monnaie sans défense face aux marchés.
Les crises sont des épreuves. Elles révèlent les défaillances. Elles éclairent aussi les destins possibles. L’Europe a pour le moment colmaté les brèches. Elle a improvisé avec la Grèce un soutien d’urgence en lien avec le FMI. Elle a instutionnalisé avec l’Irlande son intervention en créant un fond de stabilisation financière. Elle a imposé des plans d’austérité aux pays les plus menacés sans être sûr qu’ils suffisent ou qu’ils ne provoqueront pas faute de croissance, l’apparition d’un défaut de paiement de tel ou tel Etat. Pendant ce temps là, l’Euro reste à une parité bien plus haute que son cours d’introduction (1,30$ contre 1,17$). Ce sauve qui peut repose sur un pari : la confiance des marchés dans la solidarité européenne. Mais qui ne voit qu’elle n’est pas au rendez vous ? L’Allemagne n’entend pas aller au delà des 750 Milliards d’Euro prévus pour le fond. Et les pays d’Europe du nord regardent avec méfiance ceux du sud. Quant aux proclamations de vertu, notamment en France, elles sont dignes de Tartuffe : cachez ce déficit que je ne saurais voir !
Cette fuite en avant risque de provoquer l’effondrement. Non pas le collapsus mais la régression, le retour à l’Europe du début des années 80. Et avec une Allemagne bien plus forte.
L’élection présidentielle de 2012, ne décidera pas seulement de l’avenir de la France mais aussi la suite du cours de la construction européenne. Elle doit être l’occasion de promouvoir trois ruptures majeures. D’abord la définition d’une stratégie de redressement des finances publiques des pays de la zone euro. Plutôt que de fixer des objectifs irréalistes financièrement, insupportables socialement et intenables économiquement, il convient d’étaler dans le temps le retour à l’équilibre, y compris en envisageant de rééchelonner les échéances voire de restructurer les dettes souveraines des pays en difficulté, c’est à dire de faire contribuer le secteur bancaire à la remise en ordre.
Deuxième rupture nécessaire : l’autorisation donnée à l’Union Européenne – au moins dans sa version de zone euro – de pouvoir lever des emprunts. Elle est aujourd’hui la seule entité souveraine à s’interdire de le faire. Ces bons du Trésor permettront de mutualiser une partie des dettes souveraines des Etats membres, d’alléger les charges d’intérêts, d’imposer un rapport de force face aux marchés tout en veillant à l’assainissement budgétaire des Etats membres. En outre, une partie de ces emprunts serait affectée au financement de projets structurels européens en matière de recherche, d’enseignement supérieur, de coopérations industrielles ou d’infrastructures.
Enfin, dernière rupture : l’augmentation des ressources de l’Europe. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni viennent de se mettre d’accord sur la pire décision possible pour l’avenir de l’Europe : le gel de son budget d’ici à 2020. C’est à dire l’Union réduite à une PAC révisée et à des fonds structurels limités, au mieux, au pays de l’Est. Une Europe minimale. Une Europe confondue avec ses gouvernements! C’est une toute orientation qu’il faut prendre : un impôt européen (taxe écologique ou fraction de TVA) pour préparer les dépenses d’avenir et porter des projets communs ? Certes dans le moment où les Etats font des économies et relèvent des prélèvements, ce choix n’est pas facile, mais a-t-on vu une union vivre avec un budget qui ne dépasse pas 1% de son PIB ? Son indigence est le reflet de son inexistence.
L’Europe a voulu se constituer par la monnaie. Il faut désormais aller jusqu’au bout de cet engagement et ériger la zone euro en union politique. Sinon c’est l’Euro, lui-même, qui entrainera l’Europe dans sa propre crise. C’est la seule voie possible pour vaincre les marchés et poursuivre l’aventure ensemble. Poser un nouvel acte ou vivre l’acte final.