Il y a un an, Nicolas Sarkozy terminait son année sur l'échec du sommet de Copenhague, malgré plusieurs mois d'efforts, et
l'annulation de la taxe carbone par le Conseil constitutionnel. On savait l'année 2009 mauvaise, l'année 2010 débutait sous les pires auspices. Un an plus tard, rien n'a changé, ou presque.
Sarkozy prépare certes sa candidature, mais ses efforts de « présidentialisation » patinent. Pour cette semaine de Noël, il a bien fait adopter en conseil des ministres la loi sur le
référendum populaire et la clarification de son statut pénal. Il a même encouragé des infirmières, accompagné de Carla. Mais le scandale du Mediator a mis en lumière ses relations anciennes avec
le président-fondateur Servier; dans l'affaire de Karachi, on a découvert comment il avait fait négocier en coulisses, l'an dernier, le silence du dirigeant de la société HEINE par qui transitait
les commissions versées aux intermédiaires. Et quelques députés UMP, emmenés par son nouvel allié Copé ont trouvé judicieux de limiter les sanctions à l'encontre des députés menteurs volontaires
sur leur patrimoine.
Joyeux Noël !
Carla, exhibée pour la bonne cause
Qu'il ne s'étonne pas si l'on s'attaque à sa vie privée à nouveau. Tout occupé à travailler son image de président
protecteur, Nicolas Sarkozy exhibe régulièrement son épouse Carla lors de manifestations officielles. Début décembre, les 4 jours de périple indien furent une ode à la beauté glamour de la Reine.
On apprenait même que Carla voulait un fils. Mi-décembre, Carla confiait à quelques journalistes que son mari réfléchissait beaucoup à sa prochaine candidature. Puis
cette semaine, Sarkozy l'a embarquée pour la visite d'un hôpital tout neuf à Avignon. Le Monarque s'est ainsi fait filmé 11 minutes durant, micro à la main au milieu du personnel médical, et
Carla à ses côtés. Les deux caméras étaient officielles, affrétées par les services de la Présidence. Les journalistes qui suivaient le cortège avaient été écartés de la séquence. il fallait
faire spontané, zen, et souriant. En Avignon, Sarkozy voulait parler respect aux infirmières : «
on vous a respecté en vous disant vraiment, non pas la vérité, mais en vous disant avec sincérité les choses telles qu'elles sont.» Même Carla fut mise à contribution : « tout le
monde me dit... Carla la première d'ailleurs, les hôpitaux manquent de personnel, mais est-ce qu'on ne peut pas faire davantage, ... je vous le dis, on fera 3% de plus. Mais la France ne doit pas
être un pays dans la situation de certains en Europe aujourd'hui.» Même Carla a compris que la rigueur, c'est nécessaire.
Comme un cadeau de Noël bienvenu, l'agence de notation Standard & Poor's a confirmé deux jours plus tard sa meilleure note à la France, le fameux « AAA ».A la fin de
l'année, la dette de la France devrait dépasser 1.600 milliards fin 2010 (83,2% du PIB), soit quelque 25.000 euros par habitant.
Karachi, l'enquête secrète de l'Elysée
Fidèle à son habitude, Nicolas Sarkozy choisit les sujets qu'il commente. Ainsi, la progression des investigations
officielles ou officieuses sur l'affaire de Karachi ne suscite plus aucune réaction publique. On devine pourtant que l'Elysée y est attentif. Lors de son déplacement à Avignon, Carla Bruni s'est
permise de critiquer publiquement un journaliste du Monde présent
dans le cortège accompagnant pour un article publié sur les contrats de Karachi. Faut-il qu'elle soit inquiète ou énervée pour oser s'exprimer ainsi !
En 2008 et 2009, l'Elysée, via Bernard Delpit, adjoint de François Pérol alors secrétaire général adjoint de la présidence,
commanda même une mission à Alain juillet, ancien numéro deux de la DGSE. L'homme, qui travaillait à l'époque à Matignon, dut négocier le silence de Jean-Marie Boivin, directeur de l'officine
HEINE, comme l'ont confirmé Mediapart puis Libération.
Cette société-écran avait été créée à l'automne 1994 pour procéder au paiement des commissions de deux contrats, Agosta (les sous-marins vendus au Pakistan) et Sarawi 2 (des frégates pour
l'Arabie Saoudite). On a obtenu, depuis, la preuve que Nicolas Sarkozy avait validé le montage quand il était ministre du Budget. Alain Juillet, auditionné par le juge Renaud Van Ruymbeke, n'a pas caché sa surprise
quand il appris, plusieurs mois après la fin de sa mission, que le dit Boivin avait finalement obtenu 8 millions d'euros en janvier 2009, et non 3, comme Juillet le recommandait, de la
part du gouvernement Fillon, pour « services rendus.»
Le journaliste Benoît Collombat, de France Inter, a aussi publié divers documents, jeudi 23 décembre, qui redonnent quelque crédit à l'hypothèse d'un lien entre l'attentat de Karachi de mai 2002 et l'arrêt du versement des commissions
occultes, via HEINE, à divers intermédiaires de la vente des sous-marins pakistanais. Selon plusieurs documents consultés, la Direction des Constructions Navales s'inquiétait entre juillet
2000 et janvier 2001, des conséquences de cette cessation des paiements 4 ans plus tôt. Les documents confirment aussi les doutes quant à la réalité des services rendus par les intermédiaires,
ceux-là mêmes soupçonnés d'avoir versé à leur tour des rétro-commissions au camp Balladurien : « L’accord n’a pas clairement et précisément défini les obligations contractuelles pesant
sur le Consultant. » peut-on lire. .
Mediator, la nouvelle affaire du premier cercle
Jacques Chirac fut accusé d'enrichissement personnel, de frais de bouche excessifs à la Mairie de Paris, de détournements à
des fins autres que politiques. On ne sait pas, d'ailleurs, comment l'appartement qu'il occupe actuellement fut payé. Avec Nicolas Sarkozy, le registre est différent. L'un des faits marquants de
cette année 2010 fut la mise à jour de l'imbrication sans gêne ni complexe des relations d'affaires au coeur du pouvoir sarkozyen. De riches donateurs, un Premier Cercle à l'Ump créé pour eux,
des renvois d'ascenseur professionnels, des légions d'honneur en cascade, chaque mois qui passe voit son lot de révélations.
Après Patrice de Maistre et Eric Woerth, Eric
de Sérigny et Moleix, les relations du jeune Proto avec le monde du pari en ligne, voici que même l'affaire du Mediator dérape du côté de Nicolas Sarkozy. On croyait au simple scandale médical,
suffisamment grave pour provoquer l'indignation. On découvre, ou fait semblant de redécouvrir, que Nicolas Sarkozy et Jacques Servier, le président et fondateur des laboratoires éponymes qui
fabriquent le Mediator sont de vieilles connaissances. Sarkozy, jeune avocat à l'aube des années 80, a conseillé le petit laboratoire de l'époque, tant pour organiser sa structure actionnariale,
via la mise en place d'une fondation, qu'optimiser sa fiscalité. Client historique de Nicolas Sarkozy, Jacques Servier devient client du cabinet que ce dernier fonde avec deux associés en 1987.
Les laboratoires Servier deviennent aussi clients d'AEC Partners, la société de conseil spécialisé dans le secteur médical où officie
François, frère de Nicolas. En juillet 2009, Nicolas Sarkozy en personne décore Jacques Servier :« Je me souviens de notre première rencontre en 1983. C’était déraisonnable, c’est là que je
vois que vous êtes enthousiaste, vous pensiez déjà à l’époque que je serai Président de la République. Incorrigible Jacques Servier ! » Incorrigible Sarkozy, si prompte à remercier le premier cercle de ses amis ! Des années durant,
le Mediator fut considéré comme médicalement inutile, avant qu'une médecine, Irène Frachon, ne dévoile un tout autre scandale. Mais, des années durant, le Mediator a continué d'être généreusement
remboursé par la Sécu, 423 millions d'euros en 10 ans nous dit-on ! Une belle affaire.
Les petits arrangements démocratiques
Les conflits d'intérêts semblent être la marque de fabrique de cette droite décomplexée au pouvoir. Chaque effort pour faire
oublier une affaire est chassé par un nouveau scandale. Cette semaine, le nouveau président du groupe UMP à l'Assemblé, Christian Jacob, a cru bon de porter deux amendements concoctés par son mentor Jean-François Copé sur le projet de loi sur la
transparence financière des élus : le premier devait supprimer la sanction de deux ans
d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende prévue à l'encontre d'un député ayant sciemment omis « de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou de ses revenus ».
Echec et mat ! Même à droite, le tollé fut grand. Mais le second, taillé sur mesure pour éviter des révélations gênantes comme celles lâchées par Martin Hirsch dans son ouvrage sur les conflits d'intérêts, fut lui adopté :
il permet de punir la divulgation publique des déclarations de patrimoine des députés. On n'est jamais trop prudent.
Mardi, la loi Loppsi II était votée par une majorité
de députés UMP. Ses dégâts se mesureront plus tard. Son inefficacité également. Brice Hortefeux se fait discret. Entre ses bourdes sur la neige et sa deuxième condamnation, il vaut mieux... Le lendemain, le dernier Conseil des ministres a adopté deux
mesures longtemps promises, qu'il voulait présenter comme des progrès démocratiques: le fameux
référendum d'initiative populaire, une belle promesse démocratique - quasiment la seule - de la réforme constitutionnelle de juillet 2008, sera bientôt permis dans nos lois. En fait, son
usage sera très encadré : initiative parlementaire obligatoire (avec 184 élus minimum), nombre de signataires à réunir très important (4,5 millions d'électeurs), sujets restreints à trois
domaines (organisation des pouvoirs publics, politique sociale et économique du pays, ratification de traités internationaux), et ... interdiction d'un tel référendum dans l'année précédent une
élection nationale. Aucun risque, donc, que cette « formidable » avancée soit utilisée avant le prochain scrutin présidentiel. ce n'est qu'une médaille démocratique que Sarkozy voulait
s'accrocher au blason avant de partir en campagne...
L'autre prétendue avancée est la clarification du
statut pénal du chef de l'Etat. Il y avait urgence. Les affaires s'accumulent. Et qu'a décidé Nicolas Sarkozy ? D'élargir son irresponsabilité pénale, déjà acquise et entière pour tout acte
accompli en sa qualité de chef de l'Etat (d'après l'article 67 de la Constitution) à tout acte, commis dans le cadre de ses fonctions ou pas, jusqu'à la fin de son mandat. En « contre-partie
», la modification constitutionnelle précise que le président de la République peut être mis en cause « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de
son mandat », et plus simplement haute trahison. Sarkozy, cependant, s'est bien gardé de s'interdire la faculté de porter plainte. Bref, le Président reste inattaquable, mais peut
attaquer.
Nicolas et Carla Sarkozy ont filé dès jeudi à Marrakech, au Maroc. On ne sait pas qui paye l'escapade. Parions que son avion n'a pas été bloqué par quelques centimètres de neige. Mais ce départ permet à Sarkozy d'éviter d'avoir à commenter les derniers chiffres du chômage. Même officiels, ils
sont mauvais. Au gouvernement, on les attendait plus favorables. C'est une vraie déconvenue : 21 300 sans-emplois de plus ont été enregistrés en novembre chez
pôle emploi. Comme toujours, il faut lire en détail les statistiques publiées. Dans toutes les catégories, le nombre de chômeurs a progressé.
Il était temps de partir.
En un an, rien n'a changé, ou
presque.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Sarkofrance
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