Comme toutes les époques ont connu leurs peurs, la nôtre est celle des fanatiques, celle des terroristes suicidaires, une espèce ancienne convaincue qu’en tuant on gagne le paradis, que le sang des innocents lave les affronts collectifs, corrige les injustices et impose la vérité sur les fausses croyances. D’innombrables victimes sont immolées chaque jour en divers lieux du monde par ceux qui se sentent détenteurs de vérités absolues. L’on croyait qu’avec l’effondrement des empires totalitaires, la coexistence, la paix, le pluralisme, les droits de l’homme s’imposeraient et que le monde laisserait loin derrière lui les holocaustes, les génocides, les invasions et les guerres d’extermination. Rien de cela ne s’est produit. On voit proliférer de nouvelles formes de barbarie, attisées par le fanatisme et, avec la multiplication d’armes de destruction massive, on ne peut exclure que n’importe quel groupuscule de rédempteurs fous provoque un jour un cataclysme nucléaire. Il faut leur couper la route, les affronter et les défaire. Ils ne sont pas nombreux, bien que le fracas de leurs crimes résonne dans toute la planète et que l’on soit saisis d’horreur par ce cauchemar. Nous ne devons pas nous laisser intimider par ceux qui voudraient nous ravir la liberté que nous avons conquise dans le long et héroïque processus de civilisation. Défendons la démocratie libérale qui, malgré toutes ses insuffisances, signifie encore le pluralisme politique, la coexistence, la tolérance, les droits de l’homme, le respect de la critique, la légalité, les élections libres, l’alternance au pouvoir, tout ce qui nous a tirés de la vie sauvage et nous a rapprochés – sans que nous n’arrivions jamais à l’atteindre – de la vie belle et parfaite simulée par la littérature, celle que nous ne pouvons mériter qu’en l’inventant, en l’écrivant et en la lisant. En affrontant les fanatiques assassins nous défendons notre droit à rêver et à faire de nos rêves la réalité. Mario Vargas Llosa, extrait du discours prononcé lors de la remise du Prix Nobel de littérature 2010
Article paru sur Expression Libre, membre du Reseau LHC.