Depuis la mi-novembre, la commercialisation de ce médicament a été interrompue, sur fond d'accusations de 500 à 2000 morts. Selon les autorités sanitaires, environ cinq millions de patients ont été traités au Mediator en France de 1976 à 2009, dont 2,9 millions pendant plus de trois mois. Le gouvernement a choisi de cibler sa riposte contre les défaillances des autorités sanitaires. Le rôle du laboratoire est à peine évoqué.
Mercredi, Nicolas Sarkozy avait demandé la transparence la plus totale.
Il risque d'être servi.
Un industriel, de surcroît milliardaire et proche du président, et de gros intérêts privés supportés par l'assurance maladie, l'affaire a toutes les qualités pour se transformer en scandale d'Etat.
1. Le principal protagoniste de l'affaire, Jacques Servier, est un proche du président. Il connait bien Nicolas Sarkozy, qui l'a décoré Grand Croix de la Légion d'honneur en juillet 2009 (cf. infra). Le siège du laboratoire est à Neuilly-sur-Seine. Jacques Servier assume sa proximité avec Nicolas Sarkozy : quand l'affaire du Médiator éclate le 16 novembre dernier, il suggère qu'il s'agit d'une « fabrication » visant à nuire au gouvernement : « Nous sommes sidérés, stupéfaits! C'est à se demander si cette affaire est une fabrication », a-t-il ainsi déclaré au Monde, « (...) Il y a peut-être l'idée d'embêter le gouvernement.»
2. Jacques Servier et Nicolas Sarkozy ont été en affaires pendant de nombreuses années. Le cabinet d'avocats de Nicolas Sarkozy a eu les laboratoires Servier comme client dès 1995. Jacques Servier était même un « client historique » de l'avocat Nicolas Sarkozy, selon un proche du président français cité par Libération. Sarkozy l'avait comme client (en « matière de droits des associés et droit de l'immobilier », mais également fiscale), avant de créer son cabinet, en 1987, avec deux autres avocats (Arnaud Claude et Michel Leibovici). L'avocat Sarkozy a également personnellement activement conseillé et aidé Jacques Servier à créer sa fondation. Quand il lui remet sa Grand Croix de la Légion d'Honneur, Sarkozy le rappelle à son hôte : « Vous avez fait de votre groupe une fondation ; Raymond [Soubie, ancien conseiller de M. Sarkozy à l'Elysée] et moi, on y a joué un rôle.» Cette fondation possède le laboratoire.
4. On se demande si Jacques Servier est membre du Premier Cercle des donateurs de l'UMP. Il apparaît au 9ème rang des plus grandes fortunes professionnelles de France du magazine Challenges. Quand il était son avocat dans les années 80, Nicolas Sarkozy conseillait Servier pour réduire sa facture fiscale.
5. Les laboratoires Servier sont également clients d'AEC Partners, la société de conseil en placements financiers, restructuration d'actionnariat et négociation d'accords de licences dans le domaine pharmaceutique dont François Sarkozy, frère de Nicolas, est associé.
7. Le Mediator aurait coûté quelque 423 millions d'euros de remboursement à la Sécurité sociale depuis 10 ans. Dans une interview accordée aux Echos en 2007, Jacques Servier qualifiait la Sécurité Sociale de « monstre bienfaisant qui perd la mesure financière.»
8. L'affaire met également en lumière le lobbying de certains laboratoires pharmaceutiques. Le groupe Servier est une entreprise importante du secteur pharmaceutique. Il est l'une des trois entreprises privées retenues pour participer à la Fondation de Coopération Scientifique sur la maladie d'Alzheimer et les maladies apparentées lancée par Nicolas Sarkozy en 2008. En marge de l'affaire du Mediator, Servier est accusé d'avoir fait pression sur les experts médicaux sur un autre médicament, l'Isoméride.
Irène Frachon, le médecin qui a révélé le scandale du Mediator, n'a pas été à ce jour décoré de la Légion d'Honneur. Sur le site de Servier, on peut lire in extenso l'allocution de Nicolas Sarkozy président lors de la cérémonie de décoration de Jacques Servier.
Tout est dit.
ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
à l’occasion de la remise des insignes de Grand'Croix
de la Légion d’Honneur au Docteur Jacques SERVIER
Président fondateur des Laboratoires Servier
Palais de l’Élysée – Mardi 7 juillet 2009
Monsieur le Docteur, Monsieur le président, Cher Jacques SERVIER,
Votre histoire, c’est une grande histoire française riche de leçons. Vous avez traversé le siècle - on ne le dirait pas - et vous êtes pleinement engagé dans les nouveaux défis de notre temps.
Je me souviens de notre première rencontre en 1983. C’était déraisonnable, c’est là que je vois que vous êtes enthousiaste, vous pensiez déjà à l’époque que je serai Président de la République. Incorrigible Jacques SERVIER !
Vous êtes un personnage hors du commun. Votre ascèse et votre sobriété forcent le respect de tous.
Mais je ne veux pas faire votre portrait, comme on croque quelqu’un à distance. Je vous connais trop bien pour cela. Je préfère tenter d’exprimer votre identité profonde.
Vous êtes avant tout un médecin, un homme de santé et de recherche. Vous êtes à la fois docteur en médecine et docteur en pharmacie. C’était un fait rare en 1950, cela le reste aujourd’hui.
Vous avez été formé à l’école de la médecine française, celle de Pasteur, celle des nombreux prix Nobel dont notre pays peut s’enorgueillir. Je le dis devant Roselyne BACHELOT, l’école de médecine française – ce à quoi elle croit - est une école d’excellence. J’entends parfois certains opposer les soins et la recherche. C’est oublier d’où vient la médecine de notre pays. C’est négliger les fondements de l’enseignement des Jean BERNARD et autres Jean HAMBURGER. C’est ignorer que l’amélioration de la santé humaine résulte des innovations de la recherche et des progrès qu’elles ont permis.
Le groupe auquel vous avez donné votre nom, est un laboratoire de recherches et vous êtes passionnément attaché à cette spécificité.
Vous avez fait de votre groupe une fondation. Raymond et moi, on y a joué un rôle. Grâce à ce statut, tous les résultats du groupe sont réinvestis dans la recherche. Aucun dividende n’est distribué. Tous les médicaments SERVIER sont issus de la recherche du groupe et vous parvenez, avec les 20 000 collaborateurs du groupe, à inscrire ce site dans la durée, à le faire fonctionner année après année.
Vous êtes médecin Jacques et, à ce titre, vous avez une conception profondément humaine de votre métier. Vous vous êtes battu toute votre vie pour soulager et pour guérir, pour proposer aux médecins et à leurs patients des médicaments efficaces.
Au sein du groupe, vous avez prêté une attention particulière aux collaborateurs et à leur talent. Vous vous êtes très tôt préoccupé de la place des femmes à tous les échelons du management. Vous avez fait du groupe SERVIER une fondation et vous avez voulu protéger les femmes et les hommes de votre entreprise plutôt qu’attirer les capitaux. Vous nous rappelez que les capitaux n’ont d’autre destination que de servir les projets que chacun d’entre nous porte en lui. L’homme n’a pas à être soumis aux caprices du capitalisme et encore moins aux caprices de la spéculation.
Jacques, vous êtes un entrepreneur comme la France en compte peu. Les Laboratoires SERVIER, entre 48 et aujourd’hui, ont connu un développement remarquable. De la pharmacie familiale à Orléans, neuf employés. En 54, l’entreprise s’installe à Neuilly. Aujourd’hui les Laboratoires SERVIER sont présents dans 150 pays, avec des positions très fortes en Russie, en Chine, en Europe de l’Est. 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et l’effort de recherche et de développement représente 25% du chiffre d’affaires.
Vous n’avez eu de cesse de prendre des risques. Je sais bien que passer d’Orléans à Neuilly, c’était déjà, pour reprendre vos mots, se développer à l’international.
En tant qu’entrepreneur, vous avez été souvent sévère à l’endroit de l’administration française. Vous critiquez l’empilement des mesures, des normes, des structures et vous avez raison.
Enfin Jacques, vous être un patriote. Grâce à vous, notre pays peut saluer une industrie de classe mondiale. C’est un privilège réservé à moins d’une dizaine de pays dans le monde.
Et puis, vous êtes un homme fidèle. Vous êtes quelqu’un qui ne retire pas son amitié. Vous êtes un homme courageux et vous être un visionnaire.
La nation vous est reconnaissante de ce que vous faites. Vous êtes une publicité vivante pour les médicaments SERVIER parce que, franchement, l’âge n’a absolument aucune prise sur vous. Je dirais même que par une certaine coquetterie, vous rajeunissez Jacques. C’est extrêmement énervant !
J’espère que chacun aura compris que c’est un grand Français que je vais décorer au nom de la République française.
Lire aussi :
- Lobbying influenza. Les ministres de la santé et les lobbies. Partie 1. 2004-2010.
- Mediator: Nicolas Sarkozy était avocat d’affaires pour Servier
- Affaire Mediator: la revue de web pour comprendre