Le Rap boudé par les médias

Publié le 26 décembre 2010 par Steph33

Article de Emmanuel Marol du journal Le Parisien

La France aime-t-elle le rap? Oui, disent les ventes de disques. Non, ont l’air de répondre les gros médias, qui évitent le genre. Un paradoxe pour cette musique qui pèse lourd chez nous. Commercialement, l’Hexagone représente même le deuxième marché mondial de la musique hip-hop derrière les Etats-Unis. Et des artistes y ont réalisé de spectaculaires scores cette année : le Marseillais Soprano est resté numéro un du top deux semaines de suite, Booba s’est retrouvé instantanément en tête des ventes.

Rohff, qui a sorti « la Cuenta » la semaine dernière, pourrait faire lui aussi un beau démarrage. Sans parler de Sexion d’Assaut, qui restera comme l’un des plus gros succès de l’année, tous genres confondus.
Pendant ce temps, TF 1 a totalement zappé le phénomène dans son émission « la Chanson de l’année », prévue le 7 janvier par Nikos Aliagas. Au milieu de Zaz, Marc Lavoine ou Joyce Jonathan, il n’y aura aucun rappeur français. « A vrai dire, on n’y a même pas pensé », reconnaît Christophe Henriet, directeur des variétés et des divertissements de la Une. Même son de cloche chez NRJ, première radio musicale de France. « Ce ne sont pas des artistes que l’on diffuse actuellement, confirme Morgan Serrano, directeur des programmes de la station. Les mélodies sont plus difficiles que des chansons pop ou variété. »
Des arguments trop polis pour être honnêtes, selon les observateurs. « C’est une conspiration médiatique, un dégoût du banlieusard et de l’immigré, s’emballe Olivier Cachin, journaliste spécialiste du hip-hop. C’est une ségrégation musicale mais aussi sociale avec, derrière cela, l’idée de ne pas se brouiller avec un public craintif. Ou quand on invite un rappeur c’est Abd Al Malik, qui présente bien. »
Le rap a beau s’être industrialisé, il fait donc toujours peur. « Notre public, c’est la famille au sens large. Après une journée de travail, on n’a pas envie de se plonger dans quelque chose de difficile comme le rap », poursuit Christophe Henriet, de TF 1. « Quand on programme du hip-hop, il y a parfois des phénomènes de rejet, ajoute Morgan Serrano, de NRJ. Le potentiel de Booba est moins fort que celui de Christophe Maé. »
Et qu’importe si, aux Etats-Unis, les médias beaucoup plus pragmatiques déroulent le tapis rouge aux stars du genre comme Jay-Z ou Kanye West. « Ici, cela fait fuir les publicitaires, qui ne veulent pas être associés à des rappeurs portant pourtant leurs fringues ou leurs baskets », regrette Emmanuel De Buretel, patron du label Because, qui produit Booba.
Ainsi, le fossé se creuse entre la vitrine médiatique et la réalité du terrain. Le sacre du jeune Sefyu, élu par le public Révélation de l’année aux Victoires de la musique en 2009, avait surpris tout le monde… sauf les spécialistes. « Les médias télé s’adressent à des plus de 50 ans qui ne prennent pas du tout conscience des changements culturels de ce pays », affirme Laurent Bouneau, directeur de Skyrock, qui défend le rap et est devenu la première radio des moins de 25 ans. « Pour comprendre sa jeunesse, il faut passer la musique de la jeunesse », prétend Emmanuel De Buretel. Le hip-hop restera-t-il enfermé dans son ghetto? Aux dernières nouvelles, Booba a été invité à « Taratata » après avoir décroché la première place des ventes. Un bon signe.