Quelle est votre définition de l’extrême ? Ce qui est au-delà des limites autorisées, convenues ? Celle de la Maison Européenne de la Photographie (jusqu’au 30 janvier) est des plus sages, elle recevra sans problème le nihil obstat de toutes nos autorités civiles, morales et religieuses : pas de sexe (ici, ni Larry Clark, ni Mapplethorpe ne font courir le moindre risque à Messieurs Delanoë et Girard, et le catalogue a pu être édité en France, lui), une seule salle avec rideaux noirs et avertissement à l’entrée cachant un peu d’automutilation sado-maso à peine rébarbative (Claude Alexandre et Pierre Notte), pas l’ombre d’un soupçon de pédophilie chez Bernard Faucon. Vous pouvez aller voir cette exposition en famille sans hésitation, avec votre grand-tante d’Aurillac, pour les fêtes. Des nus ? Oui, mais si sages : du premier nu publicitaire en France, la photographie par Jean-François Bauret de ce joli garçon (Franck) pour les slips Sélimaille, quatre ans avant Yves Saint-Laurent (publicité dans le Nouvel Obs du 10 mai 1967), on ne voit ni le pénis, dissimulé, ni les fesses, cachées sous le texte, et pourtant quel scandale alors ! Et les fameuses amazones conquérantes d’ Helmut Newton (’Sie kommen’; elles viennent) sont plus risibles que terrifiantes, et tout sauf sexy (enfin, à mon avis…).
Les deux Guedras, d’Irving Penn, gardent leurs voiles pour le photographe, et nous restons sur le seuil. Cette première section, ‘De l’éloge de la beauté à l’esthétique de la transgression’, donne le ton : un extrême très soft, malgré le cortège de punks et d’amputés aux murs, qui tentent de nous convaincre du contraire. Je ne sais trop par quel bout prendre la section suivante ‘Rhétorique de l’extrême, de la critique sociale à l’enchantement du réel’ avec Martin Parr, Diane Arbus et Sebastião Salgado, convenue en diable. Dans les ‘Territoires extrêmes’, il y a au moins une belle série de ‘Sonnenvogel’ (oiseau du soleil) de Barbara et Michael Leisgen, une étrange écriture calligraphique avec le soleil, mais d’extrémisme, point.
‘De l’horreur au sublime’ inclut Nan Golding et Larry Clark édulcoré, mais aussi des vues de Beyrouth en ruines après les raids aériens, assez tragiques, et surtout un très beau mur de Raphaël Dallaporta, remarqué il y a deux ans dans re-Generation pour son traitement des grenades et bombes à fragmentation comme des objets précieux, des joyaux, chacune avec sa nomenclature technique précise. On continue avec de très dérangeants sosies de Michael Jackson par Valérie Belin, des Molinier toujours aussi fascinants, et, hélas, des travaux récents d’Orlan (lamentation habituelle : “il y a trente ans, c’était une grande artiste”).
‘À l’extrême de soi’ comprend les moins durs des autoportraits de David Nebreda, et les compositions baroques et quasi grand-guignolesques de Joel-Peter Witkin. Enfin, en bout de parcours, on accède à ‘L’ultime’, le spirituel comme extrême : entre les dévots de Giorgia Fiorio, les prêtres shinto d’Ikko Narahara, le vaudou de Pierre Verger et les chamanes amazoniens de Claudia Andujar, on succombe. Heureusement, on peut méditer devant ces hommes en blanc inondés de lumière de Rossella Bellusci, photographe de l’invisible, peut-être la seule vraie révélation de cette exposition trop prudente et passablement fourre-tout.
Photo Newton courtoisie de la MEP; autres photos de l’auteur.