France / USA, 2009
Catégorie: Documentaire
Réalisation: Frederick Wiseman
Chorégraphie: Pierre Lacotte, Rudolf Noureev, Angelin Preljocaj, Sasha Waltz, Mats Ek, Wayne McGregor
Avec: Les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre, Laurent Hilaire, Angelin Preljocaj, Wayne McGregor, Pierre Lacotte, Ghislaine Thesmar
En fin d’année 2007 Frederick Wiseman pose sa caméra pendant trois mois au cœur du Ballet de l’Opéra de Paris…
Grâce au succès qu’il a rencontré lors du festival international du cinéma qui tourne entre Auckland et Wellington tous les printemps (septembre dernier donc), La Danse, Le Ballet de l’Opéra de Paris est ENFIN sorti, certes dans un nombre limité de copies, dans les salles kiwis. J’ai donc pris un grand plaisir à le revoir, à noter certains détails que je n’avais pas vu la première fois. J’ai mieux apprécié sa structure, sa longueur. Bref disons le tout de suite c’est un film qui prend encore plus d’ampleur lors de la seconde vision, alors n’hésitez pas à vous jeter sur le DVD.
Mais revenons en arrière, puisque pour des raisons de programmation donc et d’emploi du temps bien chargé je n’avais pas eu le temps d’aborder le film ici. Et j’ai tellement de choses à dire, qu’en fait il faudrait presque que je fasse un billet par idée… Allons-y!
De par son sujet finalement très vaste, son absence de réel fil directeur et sa forme très brute, La Danse est un documentaire différent de ceux qu’on l’on a pu voir jusqu’à présent. Je parlerai même plutôt de film-document que de documentaire.
Il n’est pas là pour nous instruire, ou nous montrer uniquement la belle danse, qu’il filme admirablement, il est là pour témoigner de ce qui permet à cette belle danse d’exister, nous la faire vivre de l’intérieur. Il nous montre le canevas, tout ce qui s’entrelace pour arriver au résultat final, proche de la perfection.
On y voit les danseurs au plus près, en cours, en échauffement, en répétitions et sur scène, évidemment. On y découvre des bouts de coulisses, de costumes, d’éclairages… Normal. Mais aussi et surtout on y suit Brigitte Lefèvre prendre les décisions nécessaires au fonctionnement de cette institution de la danse. On y entend les répétiteurs, maître de ballet et chorégraphes donner des indications aux danseurs, essayer de leur fournir les nuances nécessaires ou encore débattre sur des détails techniques et stylistiques (Ce qui donne droit à certainement le moment le plus hilarants du film au cours du quel Pierre Lacotte et Ghislaine Thesmar se disputent très cordialement quant à l’utilisation du plié avant les sauts. Moment d’anthologie s’il en est.).
En ce sens là ce film-document m’a un peu fait penser à ce qu’avait déjà fait Neve Campbell avec son Company. Mais ici en plus brut de décoffrage, en moins romancé puisqu’il ne s’agit plus d’une fiction, en plus "vrai" on va dire. La caméra ne quitte jamais les murs de l’Opéra (dans ses deux lieux Garnier et Bastille), n’essaye pas de s’attacher à l’un ou à l’autre, laisse de côté les habituelles interviews ou un éventuel côté didactique, et se pose en simple spectateur nous montrant la vie qui habite ces deux bâtiments, tous les métiers qui s’y entrecroisent.
Je trouve très intéressant d’ailleurs le côté détaché de la caméra et cette façon de ne jamais vouloir nous faire savoir qui est qui. C’est à nous de deviner, de comprendre comment tout fonctionne, de s’attacher aux détails, de voir ce qui nous plait.
On peut peut-être reprocher à La danse sa longueur, son côté quasi interminable. Mais au final, et surtout après la deuxième vision, je dois dire que je trouve cette durée assez pertinente et ce pour deux-trois raisons.
Tout d’abord car, comme dit plus haut, ce document est là pour nous montrer les rouages et, c’est un fait, la danse, qui plus est dans une telle institution, se travaille sur la longueur. Quand Brigitte Lefèvre explique qu’un programme se fixe trois ans à l’avance et qu’il y a toute une hiérarchie à respecter, je trouve que c’est assez évocateur.
D’ailleurs la notion de temps, de durée, est très présente au cœur de cette œuvre. Le temps de préparation, de travail, de répétition donc, mais aussi en total opposé, la durée de la carrière du danseur dont l’âge butoir est 42 ans (évoquée principalement lors de la discussion sur la réforme des retraites).
Ensuite parce que le sujet est vaste est touffu. Six ballets différents pour trois mois de tournage. J’avoue que j’ai beaucoup apprécié avoir le temps de regarder les détails des répétitions, et voir le résultat sur scène montré parfois dans son intégralité. Et puis le montage est tellement bien fait que j’ai trouvé que le tout coulait sans problème. Peut-être que je suis trop habituée à sauter du coq à l’âne entre mes différents cours, mes différents spectacles, mais tout m’a paru limpide, tout m’a semblé s’articuler, faire sens. A part peut-être les 10-15 dernières minutes un poil redondantes qui suivent les dernières images sur les sous-sols de Garnier.
Mais je crois que ce qui me plait par-dessus tout dans l’approche de ce film-document, c’est cette façon qu’il a de souligner les petits détails et de nous montrer ainsi qu’en danse, rien n’est acquis. Qu’il n’y a pas un point que l’on vise et qu’une fois ce point atteint on peut se rouler les pouces. Que malgré des années de travail au plus haut niveau, même quand on est danseur étoile de l’Opéra de Paris, on doit faire attention à son en dehors, à la réception de ses pirouettes, à la façon dont on descend de son arabesque, etc.
Il y a un travail constant, une demande perpétuelle de correction de détails que je trouve passionnante. Cette idée n’est certes pas nouvelle, mais dans le contexte de ce documentaire je trouve que c’est assez rafraichissant au final. Ca permet de mettre les choses en perspective en quelque sorte.
Et je dois bien l’avouer ça me donne un bon exemple pour quand mes élèves me disent d’un seul coup "Mais c’est compliqué la danse en fait" ou encore "Mais pourquoi on fait des exercices techniques ?"… Parce que oui j’ai encore des élèves qui viennent en cours et sont persuadés qu’après seulement 1h ils seront au niveau de Sylvie Guillem… J’exagère, mais on n’en est pas loin.
Note:
La danse dans le film
Six ballets sont donc travaillés et/ou représentés par la compagnie au cours du film (l’impression d’en oublier un ceci dit, je me rattraperai avac le DVD): deux œuvres du répertoire classique Paquita et Casse Noisette, trois commandes à des chorégraphes contemporains Romeo et Juliette de Sasha Waltz, Genus de Wayne McGregor et Le Songe de Médée d’Angelin Preljocaj (œuvre rentrée au répertoire d’Opéra en 2004) et enfin The house of Bernarda de Mats Ek (œuvre datant de 1978).
Je ne pourrais pas vous parler globalement de ces œuvres, j’ai eu un regard très différent à chaque fois suivant les styles et les chorégraphes.
Pour les deux œuvres classiques, j’ai adoré voir la technique de près, le travail sur le détail donc (comment faire descendre la jambe pendant le tour depuis le retiré), la puissance dans l’exécution (les 10000 fouétés de Marie-Agnès Gillot, la minuscule séquence de Nicolas Le Riche), bref, la qualité du travail, tout simplement.
Pour les œuvres contemporaines ça a été du cas par cas. J’ai beaucoup aimé la douceur et l’esthétique du Romeo et Juliette, et puis le coup de pied d’Aurélie Dupont qui s’enroule sur le bord du balcon. J’ai presque trouvé supportable le Mats Ek, peut-être grâce aux danseurs, je ne sais pas. Mats et moi c’est une histoire qui n’a jamais vraiment roulée, je reconnais son style à des kilomètre et à chaque fois ça me donne presque des boutons. Là en petite dose, c’est presque passé.
Le Médée de Preljocaj, c’est une autre histoire encore puisque je l’ai vu sur scène lors de sa création pour l’Opéra en 2004. J’étais plantée au deuxième rang de Garnier et je me le suis pris en pleine poire c’est le cas de la dire. Je suis toujours mitigée sur Angelin, il y a des œuvres que j’adore et d’autres que je déteste. Ce Médée fait partie de la première catégorie.
J’ai gardé le meilleur pour la fin, Genus de McGregor, qui a fait vibrer mes entrailles de danseuses contemporaine biscornue. Les moments de travail dans le studio autour du pas de deux étaient tout simplement grandioses. L’engagement des danseurs, leur respiration, leurs contorsions et cette sorte d’abandon dans certains mouvements, c’était parfait. Je regrette juste de ne pas avoir vu le résultat de ce passage exact sur scène.