C’est sans doute naïf, voire stupide, de penser que la peinture d’un homme qui a perdu sa mère à 3 ans, dont le père (qui était en prison lors de sa naissance) s’est suicidé quand il avait dix ans, et qui est lui-même mort à 38 ans, en 1884, va refléter un peu de ce caractère tragique. En tout cas les tableaux de Giuseppe De Nittis (au Petit Palais jusqu’au 16 janvier), peintre italien de Paris, ne traduisent en rien cette vie dramatique. Pour l’essentiel, c’est un peintre oscillant entre mondanité et impressionnisme. Si ses nus sont fades et sans attraits, ses femmes du monde charmantes mais sans profondeur (on est loin de Sargent, et même de Sorolla; ci-contre ‘Courses à Auteuil, 1883), ses paysages la plupart du temps bien faits mais sans gravité, on trouve souvent chez lui une touche informelle, s’efforçant de traduire la lumière et la matière, avec de beaux effets de vagues, de fumée (le panache du Train qui passe, par exemple), de neige, de fog londonien (mais ce n’est ni Turner, ni Derain). En bref, ce serait une exposition poliment ennuyeuse, sur un peintre anecdotique et instructif, s’il n’y avait ici ou là deux ou trois révélations.
D’abord, deux ou trois petits tableaux horizontaux des rives de l’Ofanto, rivière des Pouilles. Ils montrent une composition de l’espace en trois bandes, rivière, terre et mer, formelle et construite, austère et tendant à l’abstraction quand rien ne vient y distraire le regard (Rive dell’Ofanto, 1865, ci-dessus), un peu moins pure quand De Nittis cède, comme trop souvent, au pittoresque et y rajoute ce joli troupeau de vaches (Sulle rive dell’Ofanto, 1867, ci-dessous), tableau qu’un critique distrait ou ‘in absentia’ a reproduit à l’envers (vous pouvez voir ce tableau dans les salles d’exposition à 01:00 sur cette vidéo).
Ensuite, deux petites toiles d’études sur des nuages de 1868, motif de prédilection pour qui veut travailler la lumière et l’informe, mais peut-être, depuis Stieglitz, suis-je trop obsédé par les nuages…
Et surtout, ses tableaux de l’éruption du Vésuve en 1872 : si, à la demande de Goupil, il rajoute des personnages, du pittoresque, ses premières toiles de la catastrophe sont des amas de matière brute, rougeâtre, peintes au plus près de la lave, des fumeroles, elles en acquièrent une densité, un formalisme impressionnants, tendant là encore vers l’abstraction. ‘Sur les pentes du Vésuve’ (1872) à gauche et ‘Eruption du Vésuve’ (1872), à droite en sont deux exemples remarquables. Je me suis souvenu des photographies de James Graham.
Enfin, plus loin, naviguant au milieu des salons mondains et des portraits d’élégantes, on découvre, au milieu de diverses japoniaiseries décoratives à la mode du temps, chrysanthèmes et bambous, un très bel éventail de soie peinte, ‘Nocturne capricieux’ (1883), où les traits dorés ondulants sur un fond bleuté font écho à de petites touches blanches en haut, sans doute la mer et le ciel, mais peu importe, on est là devant une peinture contemplative, quasi mystique, véritablement orientale : une des rares fulgurances de ce peintre un peu gâté par trop de mondanité, trop d’anecdote, trop de pittoresque (hélas, pas de reproduction disponible de cet éventail; sauf si une âme charitable ayant le catalogue veut bien en scanner la photo pour moi).