Lu dans le numéro deux de la revue Grumeaux.
D’un côté, il y a l’argument qui a sa force persuasive et qui soutient que l’impossible est en train de disparaître sous l’assaut de l’impératif technologique et idéologique du possible (« Tout est possible », « Le mot impossible ne fait pas partie de notre vocabulaire », et tout un tas de slogans semblables qu’on peut rencontrer à peu près partout…). De l’autre côté, on peut soutenir de façon également convaincante que l’impossible devient de plus en plus omniprésent et accablant, que par exemple toute alternative réelle à l’ordre existant est déclarée impossible d’avance, que « l’impossible » envahit de plus en plus notre monde sous la forme de diverses catastrophes ou, à l’échelle individuelle, qu’il y a de plus en plus de « petits impossibles » qui réglementent et encombrent notre vie quotidienne…
Cet extrait de l’introduction du texte d’Alenka Zupančič pose la question de l’impossible sous un aspect politique où chacun reconnaîtra en effet le monde dans lequel nous vivons. Elle poursuit en compagnie de Jacques Lacan et de Clément Rosset son exploration de l’impossible. Je ne saurai résumer ici la trentaine de pages qu’elle y consacre et qui m’ont permis d’approcher cette notion qui, jusqu’alors, m’était assez obscure : « l’impossible c’est le réel ». Je ne sais si j’ai compris le sens que Lacan met dans cette affirmation, mais je lis ici que « l’impossible est ce qui arrive », que ce qui arrive n’est jamais exactement ce qui était annoncé, que le réel relève de l’immédiat (et non de l’instantané).
Et Alenka Zupančič me révèle alors ce que je ne savais pas. « Père, ne vois-tu pas que je brûle ? » est une phrase extraite d’un livre de Freud, La Science des rêves. Elle précise :
Après avoir veillé pendant un certain temps auprès du lit de son enfant mort, le père est allé prendre quelque repos dans la chambre voisine, laissant l’enfant à la garde d’un vieillard. Ce dernier s’est endormi, et un cierge renversé a mis le feu au lit où reposait l’enfant. Dans le rêve que fait le père (…) l’enfant est près de son lit, le prend par le bras, et lui murmure sur un ton de reproches : Père, ne vois-tu pas que je brûle ? Ce qui réveille le père, ce ne sont pas les stimuli extérieurs – le rêve est fait avec ces éléments précisément pour empêcher le réveil – mais ce message perçant dans lequel, comme le remarque Lacan, il y a plus de réalité que dans le bruit par lequel le père a aussi bien identifié l’étrange réalité de ce qui se passait dans la pièce voisine. (…) Quelque chose a lieu ici qui, par rapport au père en question, n’est rien de moins que l’impossible réalité telle qu’elle existe sans lui (…)