Magazine Beaux Arts

Le nom des étoiles, inversé

Publié le 14 mai 2007 par Marc Lenot

Angela Detanico et Rafael Lain, Inverse times, au Musée Zadkine, jusqu’au 16 Septembre.

Ces deux artistes brésiliens travaillent, de manière à la fois ludique et sérielle, sur les mots, les lettres, la langue. On avait vu d’eux, au Plateau, ce moniteur télé où le texte de The Waves défilait à toute allure, mais ménageait des points fixes, des éléments de stabilité, qui, eux aussi, avaient un sens, caché certes, mais accessible. Et je me souviens aussi de leur Justification du Monde, à Metz.

Comment aller au delà du langage, au delà des signes ? Une lettre, un signe, ce n’est jamais qu’un peu d’encre sur du papier, une plus ou moins grande noirceur sur un fond blanc. Et rien n’a moins de sens qu’un nom d’étoile, baptisée par un congrès d’astronomes éminents, nom aux sonorités bibliques, sumériennes, ou “dunesques“, Baten Kaitos, Arneb, Metallah (ci-contre) ou Torcularis Septentrionalis. Detanico et Lain veulent trouver le sens, l’essence, la plus simple expression, la substantifique moelle, et pour ce faire, ils dissèquent, ils décomposent, ils décortiquent lettres et mots : leur alphabet “Helvetica Concentrated” transpose en un cercle parfait la quantité d’encre contenue dans chaque lettre du nom. Quelle image avons-nous de ces étoiles lointaines, quel rayonnement en percevons-nous ? Ces disques sont une vérité scientifique comme une autre, une représentation exacte qui en vaut une autre.

A côté, c’est La Fleur Inverse, un poème du troubadour Raimbaud d’Orange, revisité par Jacques Roubaud, qui est l’objet de leur scrutation. Ecrit sur une série dépliée de miroirs, le texte alterne entre une version où les mots se suivent mais les lettres sont inversées, et son reflet dans le miroir, où les lettres deviennent lisibles, mais les mots sont alors inversés. Le caractère est le Times New Roman, temps inversé. Impossibilité de lire.

Et cette bande colorée qu’on aperçoit dans le miroir, c’est l’exemplaire que possédait Zadkine de la superbe Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars, illustrée par Sonia Delaunay. Sur cette bande dépliée verticalement sur deux mètres de haut, comme une carte Michelin, les pliures sont comme les traverses des rails de chemin de fer rythmant le voyage. Le texte à droite, est envahi par la couleur, trempé de lumière. A gauche, le déroulement coloré, arrondi, rythmé des courbes et contre-courbes vous entraîne jusqu’à la Tour Eiffel rouge tout en bas. Dis Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? Rarement poésie et peinture ont été aussi étroitement imbriquées.

J’ai par contre été moins convaincu par l’animation photographique en basse résolution d’une statue de Zadkine, présentée dans l’atelier, jeu entre sculpture et photoshop qui m’a paru un peu trop simpliste, après la magie des textes de ces deux virtuoses du signe, de la lettre.

Photos 1 et 3 prises par l’auteur; photo 2 provenant du catalogue; photo 4 provenant de ce site.


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