La transparence pour la démocratie

Publié le 23 décembre 2010 par Copeau @Contrepoints

On croyait que l’arrivé de l’âge de l’informatisation avait donné un coup définitif aux pratiques secrètes des hommes d’État, au moins dans les pays supposés être démocratiques. C’était malheureusement de l’optimisme naïf : grâce aux efforts d’un simple site internet comme Wikileaks l’opinion publique du monde entier a eu la chance de voir comment les politiciens d’aujourd’hui ne s’éloignent pas des pires intrigues de palais et qu’ils sont prêts à utiliser n’importe quel moyen pour arriver à leurs fins.

L’aventure de Wikileaks commence en décembre 2006 : les fondateurs du site se définissaient alors comme un groupe de « dissidents chinois, journalistes et mathématiciens venants des États-Unis, de Taiwan, d’Europe, d’Australie et d’Afrique du Sud ». Le site était représenté publiquement par Julian Assange, qui se définissait simplement comme son porte-parole.

À l’origine, l’objectif du site consistait en l’exposition des actes illégaux des États des pays postsoviétiques, asiatiques et africains et – alors dans une moindre mesure – les problèmes des pays démocratiques. Il est intéressant de rappeler comment le monde « dictatorial » va devenir en réalité l’ennemi secondaire d’Assange.

Car très tôt, le site obtenait les informations plus intéressantes sur les silences des grands pays occidentaux : par exemple, avec l’exposition des listes de membres des partis politiques de l’ extrême droite anglaise et des détails sur les procédures illégales commises à Guantanamo. Après avoir révélé des interceptions en relation avec le scandale Petrogate, le site se concentrait sur les banques : il publiait des détails sur la crise bancaire islandaise et sur les responsabilités des opérateurs, à côté d’un rapport sur les activités de Barclays, que la banque elle-même aller faire supprimer du site du Guardian.

Avec 2010 arrivent les vrais grands coups médiatiques… soit les confirmations qu’on attendait depuis le début des guerres en Afghanistan et Irak : Wikileaks commence à publier des documents officiels du Département de la défense américain concernant des actes irréguliers commis par les forces armées des États-Unis. Situations de « tir ami », attaques sur des journalistes pris pour terroristes, violations des normes sur la détention des prisonniers… et aussi un dossier sur « comment combattre la publication de documents confidentiels sur le site Wikileaks ». À la fin de juillet, plus de 92.000 documents classés confidentiels sur la guerre afghane ont été publiés sur le site. Tandis que Washington continuait à chercher comment arrêter la diffusion de ces infos, à la fin novembre arrivait le coup de grâce : la publication des câbles diplomatiques américains, dans lesquels on trouve de nombreux points de vue pour le moins intéressants sur les rapports avec les pays européens, sur les rapports italo-russes, sur l’espionnage d’officiels de l’ONU, pour ne citer que les exemples les plus croustillants.

La vraie force d’action d’Assange ne réside pas dans le fait d’avoir parlé des « embrouilles » et de la corruption de politiciens, mais dans le fait qu’il a trouvé des preuves matérielles pour dénoncer cela. Il est très commun de dire qu’un politicien est corrompu ou que des actions militaires semblent conduites par des débutants : mais cela constitue un véritable « coup » de pouvoir dire, avec les documents officiels, que des décisions économiques ont été prises pour satisfaire des intérêts privés des chefs d’État, ou que les vies de soldats et de civils ne sont que des pions sur l’échiquier géostratégique. Les États font bien, en effet, d’avoir peur : les découvertes de Wikileaks ont attiré l’attention sur de nombreux sujets qui – à l’époque des faits – étaient négligés. Les « accidents » pendant les guerres aux Moyen-Orient et une longue série de détails embarrassants sur les intérêts privés en jeu pendant les nouvelles stratégies énergétiques européennes sont seulement les premiers sujets que la presse ordinaire va avoir à réexaminer.

La ligne de défense du gouvernement américain a suivi l’exact contraire de la transparence : pour eux, il faut couvrir avec le secret d’État tous les sujets qui peuvent mettre en péril la sécurité des militaires et des citoyens dans les théâtres de guerre comme sur le territoire national. Washington n’a pas expliqué de quelle manière cacher la vérité sur des accidents et des violations de la loi internationale pouvait « sauver des vies humaines » : il est clair que c’est surtout l’intimité des politiciens qui est en péril, politiciens qui encore aujourd’hui en 2010, ont besoin d’agir en secret pour éviter le jugement des citoyens qui les ont élus.

Un certain niveau de secret est admissible seulement en situations de danger confirmé, mais dans les cas exposés par Wikileaks on voit une extension excessive du droit à maintenir le silence sur des informations stratégiques. La sécurité des citoyens devient l’excuse pour cacher une longue série de magouilles qui n’ont rien à faire avec les objectifs stratégiques d’un pays, mais seulement avec les objectifs stratégiques des portefeuilles des politiques.

Un gouvernement qui agit de cette manière donne la preuve de n’avoir aucun respect pour ses électeurs et ses citoyens : il démontre être une organisation déterminée à atteindre ses buts privés en utilisant la façade des besoins stratégiques.

Donc, on voit que la quantité d’informations obtenues grâce aux efforts d’Assange nous démontre qu’il faut faire encore beaucoup de travail pour obtenir un gouvernement transparent. Le secret d’État a toujours été une mesure inacceptable. Sans un gouvernement transparent, le processus de la démocratie représentative s’écroule : les électeurs doivent avoir la possibilité d’examiner tous les éléments possibles pour juger l’action des hommes d’État. Assange a fait le travail qu’un journaliste doit faire, au moins idéalement : dire la vérité sans censure. Il faut comprendre l’importance de la grande route ouverte par Assange, et s’engager pour la continuer.