May Armand-Blanc : Idylle saphique par Liane de Pougy

Par Bruno Leclercq


Idylle saphique

par

Liane de Pougy

Un cadre dix-huitième, un rêve antique, très peu de métier – Dieu merci ! - de l'instinct sincère – le plus difficile à réaliser – et de la sensibilité naturelle : c'en est assez pour des pages fraîches – en paradoxe avec le titre d'un relent particulier – où l'ardeur et la puérilité s'embrassent... Et ce serait peut être une union banale puisque des pensionnaires – et la plupart, - s'y essayent – si pour en relever l'attrait et l'idéaliser en le pervertissant, cet embrassement n'offrait ce signe distinctif qu'il ne se prolonge point jusqu'à s'achever.
L'inapaisement dégage une saveur plus irritante que l'assouvissement. On le dit souvent et il faut le croire quelquefois. Ici, cette croyance est agréable.
En voici le décor :
Une jolie femme, courtisane moderne, s'ennuie. A l'heure propice survient, costumée en page, l'adoration d'une jeune Américaine Miss Flossie, qui, avec une voix prenante et des cheveux blonds a des goûts très définis.
Ma curiosité d'abord, le cœur ensuite, - dans des crépuscules choisis, - d'Annhine de Lys accueillent l'offrande de l'étrangère. Et comme il fallait montrer de l'amour, l'auteur a bien choisi ses étapes pour faire glisser le désir à la tendresse par les plus jolis chemins – ceux d'un marivaudage sensuel – lequel souvent égare jusqu'à faire prévaloir le sentiment sur la sensation – contrairement à toute prévision.
Ainsi donc ce ne sera plus un attrait devenu vulgaire à force d'être pratiqué, ni un caprice de désœuvrée qui attacheront l'une à l'autre Annhine et Flossie. Volontairement nous laisserons de côté les personnages confidents du roman : Altesse – Tesse dans l'intimité, un rôle charmant d'amie, et dans la suicidée par amour et d'autres, et aussi les épisodes et même le fond d'intrigue où se mêle étroitement le fiancé de Flossie. - un bien curieux Willie, - oui, nous laisserons tout cela parce que l'auteur même n'y a attaché qu'une médiocre importance – un peu comme les bons acteurs dédaignent les accessoires pour la vérité de leur rôle.
La pièce ne se jour bien ici qu'à deux et les idylles ne comportent que ce nombre.
D'une mansarde à un bouge, des Acacias à la foire des Batignolles et de Lisbonne à Arcachon – en passant par bien des états d'âme, et par Venise notée d'un bien joli couplet – Annhine veut exprimer son désir qui est : ou de connaître les extrêmes du désir ou de ne le plus éprouver jamais.
Nous la conseillerons pas dans son choix – lequel ressort du tempérament et non de l'esprit.
La délicatesse de ses nerfs et la fragilité de son corps gracieux l'aident à résister, - comme ils auraient aussi bien pu l'aider à succomber, - et ce n'est là encore qu'un artifice. Au fond, et Annhine nous le répète trop pour que nous ne voulions pas la croire, c'est l'âme seule dont elle se soucie et c'est son âme seule qui lui fait choisir dans l'amour – pas tout l'amour.
Le jeu et le drame qui se touchent de si près en ce monde sont ici mêlés avec charme.
Après les Odes et Anactoria, et Méphistophéla, voici se joindre à la théorie des filles de Lesbos, deux modernes petites figurines.
Elles seront les Saxes de la collection, fragiles et si souriantes qu'on doit leur sourire, elles ont une couleur légère et d'harmonieux contours, c'est pourquoi puisque selon le cri d'Annhine « il n'y a pas de culte fait pour l'éternité sauf celui de la Beauté », c'est pourquoi nous les regarderons vivre avec plaisir sans trop nous soucier de leurs inconséquences et de leurs puérilités pour ne tenir compte que de leur bonne volonté... Elles sont sincères, ou veulent l'être, ce qui est presque pareil et elles disent de gentilles choses : « Je crains de trop te comprendre pour pouvoir te consoler... »
Et c'est « parce qu'on doit s'en aller route seule avec sa douleur » qu'Annhine, Nhine, Nhinon, s'en va sans presque le vouloir, sans presque le savoir avec toute la grâce qu'elle a mise à vivre, et si derrière elle et son roman et sa mort nous voyons surgir une figure bien vivante et un roman très vécu, nous n'en dirons rien, car les auteurs ont ce droit – avec tous les autres – d'être à la fois en scène et dans les coulisses, de sourire à la cantonnade de leurs larmes – même quand elles sont vraies, et, rien n'étant plus proche de la vérité que la dualité, nous saluerons ici l'une et l'autre en cette Idylle – et ce saphisme.

May Armand-Blanc

La Plume, janvier 1902

Liane de Pougy (1869-1950). Idylle saphique. Librairie de La Plume, 1901, 332 pages, portrait.
Liane de Pougy à l'Académie.