François d’Aubert, qui a aujourd’hui 67 ans, dit avoir consacré près de dix années de sa vie à écrire ce livre sur Colbert. Pourtant, il savait au départ qu’il n’allait rien découvrir de nouveau sur ce personnage «panthéonisé» dans la mémoire collective des Français, au même titre que Sully, Richelieu ou Turgot, emblématique d’un service de l’Etat à la fois efficace et intelligent, idéalisé par les maîtres à penser de la IIIe République, et idolâtré par les anciens de l’Ecole nationale d’administration. Tout au plus arrive-t-il à la conclusion qu’il n’y a aucune raison – comme le font souvent les historiens «corrects» – de passer sous silence ses positions sur la peine de mort applicable aux fraudeurs du fisc, à sa volonté de rétablir le corps des galères, sa défense de la traite des Noirs, ses compromissions originelles avec les affaires louches de Mazarin.
Pour des raisons qui tiennent sans doute à son parcours personnel – HEC, Sciences-Po, ENA, Cour des comptes – François d’Aubert a donc voulu revisiter en détails ce mythe synonyme de constructivisme. Ce qui l’amène à passer en revue les 22 années du «règne» du ministre, dans tous les domaines où il avait à intervenir, c’est à dire les deux tiers du champ de l’intervention de l’Etat d’alors.
Comme on s’en doute, on rencontre un homme travailleur, attentif aux détails, aimant les règles et les normes. Parfait courtisan mais supportant mal les critiques.
L’auteur n’a pas prétendu instruire le procès du grand homme. Seulement dresser un portrait plus équilibré que celui inventé par la vulgate républicaine et technocratique.
Pari réussi.
Occasion aussi de se replonger dans l’histoire de cette deuxième partie du XVIIe siècle. Quand la France était encore, sans conteste, la première nation du monde, et son roi le plus illustre des souverains. Mais époque où déjà, au-delà des mers, qui n’a jamais été notre meilleur champ de bataille, au plan du commerce et de l’industrie, nous nous faisions tailler des croupières par plusieurs autres pays.
Même avec Colbert, dont la principale qualité est de savoir tondre le mouton fiscal, la banqueroute n’est jamais très loin. Les acrobaties du ministre ne font que l’éloigner momentanément.
Mais la principale révélation du livre de François d’Aubert se trouve dans l’évaluation, à la mort du grand homme, de sa fortune personnelle, l’équivalent de 150 millions d’euros. Pour un homme originaire d’un milieu modeste. Il s’est donc enrichi. Par des procédés qui n’étaient pas tous honnêtes. Et c’est cet homme-là que notre bureaucratie a érigé en modèle. Quel aveu !
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