Premier type d’arguments, les ménages rationnels, anticipant un désendettement de l’Etat, réduiraient-ils leur épargne de précaution ? Se mettraient-ils à consommer l’intégralité du supplément de revenu qu’ils prévoient de ne pas consacrer par l’impôt aux charges de l’Etat, conformément aux prédictions de la théorie de l’équivalence ricardienne ? Les dirigeants des institutions européennes oublient simplement qu’il existe plusieurs catégories de ménages. Alors que les inégalités de revenus explosent, l’écrasante majorité des ménages, déjà endettée, subit une stagnation, voire une baisse de son pouvoir d’achat. Quant aux 10% des ménages les plus riches, ceux qui, précisément, peuvent épargner, ils profitent des intérêts de la dette (ils sont les véritables créanciers de l’Etat) et des déficits qui ont servi à financer les « dépenses fiscales » dont ils ont été les premiers bénéficiaires. Le surcroît de revenus disponibles qui leur est versé sous forme de dividendes ou de cadeaux fiscaux n’a aucunement accru leur consommation, déjà saturée. Outre le fait qu’elles ont amenuisé les recettes et creusé les déficits en ne provoquant pas l’effet annoncé sur la croissance, les dépenses fiscales ont stimulé la spéculation immobilière et l’épargne. Celle-ci est devenue excédentaire, dès lors que les entreprises ne la mobilisent pas pour l’investissement. Cette situation est précisément à l’origine de la de menace déflationniste qui plane plus que jamais sur l’Europe.
Le deuxième type d’arguments est inspiré de la théorie de l’effet d’éviction. Compte tenu de la prime de risque exigée par les marchés, les besoins de financement publics exerceraient une pression à la hausse sur les taux, évinçant l’investissement privé. La consolidation budgétaire atténuerait par conséquent cette tension et contribuerait ainsi à relancer l’investissement. Cette théorie est tout aussi erronée que la précédente. Outre que l’intervention de la Banque centrale pour racheter une partie de la dette souveraine est susceptible de détendre les taux sur les emprunts d’Etat, les taux auxquels les entreprises privées peuvent se financer sont déjà à leur plus bas. Il est même probable que l’Europe soit tombée dans une trappe à liquidité. Les agents préfèrent la liquidité aux titres face à l’incertitude. Les banques, suspicieuses les unes envers les autres au vu de leurs bilans, qu’elles savent loin d’être nettoyés, ne se prêtent plus sur le marché interbancaire. Les taux ne cessent plus de baisser malgré les injections répétées de la BCE. Ces bas taux n’ont aucunement relancé l’investissement privé, atone, compte tenu de la faiblesse des carnets de commandes. L’investissement dépend moins que jamais du coût du capital. Il dépend de la demande, que les politiques d’austérité vont malheureusement casser.
Dans ces conditions, l’Union Européenne commet une grave erreur de se priver de l’arme budgétaire. Malgré des déficits structurels qui restent malgré tout soutenables, cette arme doit plus que jamais être dégainée de façon contra-cyclique à condition, naturellement, de ne pas en gaspiller les munitions dans d’inutiles dépenses fiscales. Au contraire, les cures d’austérité, que le Conseil, la Commission et la BCE ont choisi d’administrer, menacent de tuer dans l’œuf la reprise.
PAR Liêm Hoang Ngoc
Cette tribune est extraite de La lettre de conjoncture économique européenne de Liêm Hoang Ngoc n°1, trimestre 2010 en téléchargement ici :
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- Lettre de conjoncture économique européenne