Je reviens sur ma rencontre avec mon oncologue. Elle m'a appris une nouvelle qui m'a vraiment étonnée.
Comme je devais être le dernier rdv de la matinée, personne d'autre n'est arrivé à part une visiteuse médicale avec son gros cartable. J'ai fini par être appelée avec une bonne heure de retard mais j'avais mon "sac patiente" avec tout le nécessaire pour prendre mon mal en patience, magasine, livre, eau et mon précieux iphone qui fait perdre la notion du temps et aide si bien à patienter.
J'avais les deux comptes-rendus de mes lipomodelages qu'elle m'avait réclamés, celui de mon scanner TAP. Elle m'a palpé les ganglions, les seins. Elle m'a demandé si mes perfusions se déroulaient bien et elle m'a annoncé qu'elle avait trois autres femmes comme moi qu'elle essayait de persuader de passer de la chimio ambulatoire à domicile. Deux femmes sont en rémission depuis un an et demi et une autre plus âgée depuis 2 ans et demi. Elle m'a aussi racontée qu'elle avait revu une patiente ayant eu des métastases hépatiques voici plus de 10 ans et que son foie était depuis normal. Je sais que ça existe mais j'aime qu'elle me le dise, ça me fait un bien fou de l'entendre et de savoir qu'elle en a une dans sa clientèle, même si ce n'est pas mon cancer, pas herceptine. Les métastases hépatiques sont si souvent mortelles, peu de patients leur survivent plus de deux ans mais c'est aussi parce qu'elles résistent et ne disparaissent pas.
Elle m'a ensuite parlé d'herceptine. Dernièrement elle a rencontré ses collègues, notamment ceux du CLB. Elle leur a demandé ce qu'ils faisaient avec les patientes comme moi, celles au long terme avec herceptine. Tous les autres agissent comme elle, nous ne sommes vraiment pas assez nombreuses pour faire une étude, pour décider si nous pouvons nous passer d'herceptine pour continuer à vivre sans cancer. Un seul se démarque. Il a décidé qu'après trois ans d'herceptine, il arrêtait les traitements et les renvoyait chez elles. Je suis très heureuse de la confiance dont elle me témoigne en me confiant ces échanges avec ses collègues. Elle a enchaîné aussitôt en me disant qu'elle lui avait demandé sur quoi il se basait pour arrêter herceptine après trois ans. Il a lu un rapport américain qui supposait qu'après trois ans, on pouvait arrêter. Il ne s'agit pas d'une étude scientifique. Elle n'est pas d'accord avec lui et trouve ça léger de se reposer dessus pour prendre une décision qui peut avoir de telles implications pour ces patientes.
Je n'en revenais pas. J'ai pensé à ces femmes qui devaient être soulagées d'en avoir terminé avec les traitements mais qui en fait bénéficiaient d'une décision complètement arbitraire, sans fondement scientifique, pouvant faire revenir le cancer, les métastases et abréger leurs rémissions. Je trouvais cet oncologue bien sûr de lui, je ne sais pas quelles raisons, il invoquait pour justifier l'arrêt d'herceptine mais si elles récidivaient, elles pourraient à coup sûr lui en rejetter la faute, mais ça les avancerait à quoi? Une fois le cancer revenu, je ne pense pas qu'il arrivera à les remettre en rémission.
Je lui dit que je partageais son point de vue à elle et que je préférais moi aussi continuer plutôt que de prendre le risque d'arrêter. Elle devait aussi vouloir connaître mon ressenti, savoir si ce n'était pas trop dur à vivre, si ça valait le coup pour moi de continuer même si c'est ce qu'elle pense elle. Elle m'a dit qu'effectivement nous étions si peu nombreuses, qu'aucune étude ne pourrait être réalisé pour déterminer s'il fallait continuer ou pas. Le mieux était de ne prendre aucun risque avec un tel cancer tant que notre qualité de vie était satisfaisante et de continuer.
Nous avons ensuite parler de banalités comme deux vieilles connaissances, déterminer le programme cancer de l'année prochaine, fixer les rdv et nous nous sommes quittées le sourire aux lèvres. Elle m'avait gardée pour la fin. Avant moi, elle avait reçu le monsieur qui respirait difficilement, elle avait lu le compte-rendu qu'il tenait dans la salle d'attente et dont il avait discuté avec sa femme. Elle était ressortie en trombe du bureau pour demander aux secrétaires de prendre des rdv en urgence pour des examens plus poussés avant la fin de cette semaine. Je sais qu'elle apprécie d'avoir au moins un rdv sans mauvaise nouvelle, ça doit justifier ce métier si ingrat et pourtant indispensable qu'elle a choisi, prolonger des vies, en sauver quelques unes, ne pas annoncer toujours que des mauvaises nouvelles, voir enfin une patiente qui s'en sort.
D'ailleurs je lui ai dit, en plus de mon bonheur d'être en vie, ma rémission de 4 ans et demi peut au moins donner de l'espoir aux autres femmes qui viennent d'apprendre leurs métastases. Je sais qu'elle mentionne mon cas, que je sers d'étoile du Berger dans cette nuit effrayante qui entoure ces nouvelles métastasées et je leur souhaite de tout mon coeur de connaître une très très longue rémission, de revoir enfin le soleil.