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Peut-on jouer avec les archives dans un JT ?

Publié le 22 décembre 2010 par Francoisjost

Le week-end dernier, le 13h15 de Laurent Delahousse s’est livré, comme beaucoup d’autres, à une petite rétrospective des événements importants de 2010. Rien de très original à cette époque de l’année. En revanche, le traitement de ces informations a retenu mon attention. Les archives qui montraient ces événements étaient couleur sépia et on leur avait ajouté des rayures pour donner l’impression de vieux films usés. Cette modification de l’image pouvait échapper à un œil inattentif ou peu habitué aux codes cinématographiques. Inutile de dire qu’il avait été ajouté grâce à un logiciel de retouche.

Ce petit arrangement avec la réalité m’inspire trois réflexions.

La première, c’est la persistance du modèle cinématographique pour connoter que des images sont des archives, à une époque où le veillissement de l’image numérique, s’il est concevable, ne peut engendrer des défauts de ce type. Paradoxe d’un nouveau medium, le numérique, qui sert à signifier grâce à ses ressources propres l’usure d’un ancien medium, le cinéma.

La deuxième est d’ordre éthique: a-t-on le droit, dans une émission qui est tenue d’informer, déformer des archives par la retouche? J’aborde cette question dans mon dernier livre, Les Médias et nous, et ma réponse est négative. L’archive témoigne de la réalité moins par ce qu’elle représente que parce qu’elle en est son empreinte. C’est un indice, disent les sémioticiens. Il est donc inconcevable de la manipuler. Je sais que ce fut le cas d’Apocalypse: on colorisa des images de la Seconde Guerre pour les rendre plus consommables par les jeunes. Cette façon de rectifier un document est la porte ouverte à toutes les manipulations, à tous les accommodements avec la vérité, à tous les trucages de l’histoire.

Certes, m’objectera-t-on… mais vous prenez l’affaire trop au sérieux. Le but de ce veillissement des archives est, en l’occurrence, de faire sourire le téléspectateur. Je suis bien d’accord. Toute la question est de savoir si la fonction du JT est d’informer ou de distraire pour garder son attention. En 1994-1995, Karl Zéro faisait exactement la même chose sur Canal +. Pour se moquer du premier ministre d’alors, Edouard Balladur, dans son Balladurama, il traitait les images d’actualité en noir et blanc et les commentait avec une voix nasillarde, qui évoquait les actualités cinématographiques sous Pétain. Il s’agissait d’un programme fait pour rire, si ce n’est d’un programme comique. Néanmoins, certains journalistes protestèrent de cette confusion des genres.

Aujourd’hui, ce procédé de détournement, d’abord cantonné dans une émission de divertissement, est employé par un journal télévisé de service public.

De quoi est-ce le symptôme? Du terrain qu’a gagné encore le divertissement. Par peur de perdre des téléspectateurs jeunes s’il est trop sérieux, le JT recourt aux procédés d’un programme de divertissement d’il y a quinze ans, sur une chaîne qui a fait de la dérision son image de marque. N’est-ce pas de cette façon que le service public finit par perdre son âme?

comprendrelatele

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