Il paraît que le syndrome de Stendhal, cet étourdissement devant les chefs d’oeuvre de la Renaissance toscane, viendrait, très prosaïquement, d’une pression indue sur les artères de la nuque causée par le renversement en arrière de la tête du contemplateur de fresques au plafond des églises. Face aux photographies de Marie Bovo (à la Maison Européenne de la Photographie jusqu’au 30 janvier), nulle raison physiologique pour être ainsi ébloui : deux des séries qu’elle présente sont des vues du ciel, du plafond. Le haut physique est donc au fond de l’image, là où le regard plonge, dans l’abîme; s’il y a bien un haut physique, il n’y a plus de haut de l’image, et elle aurait autant de sens présentée dans l’autre sens ou tournée de 90° (on peut penser aux nuages de Stieglitz, tout aussi désorientés, mais, ici, il y a un cadre bien précis, bien délimité). Ces deux séries, prises toutes deux dans des immeubles marseillais autrefois prestigieux et aujourd’hui décrépits, se répondent selon une logique du plein et du vide, du fini et de l’infini, de l’humain et du minéral aussi. La première, Cours intérieures, montre donc le ciel, un rectangle de ciel monochrome, bleu, parfois violacé, encadré de murs et strié de cordes à linge. Le regard chaviré, nous sommes en bas, dans les tréfonds, sous le linge qui sèche, sous le drap qui, bougeant au vent, est un peu flou, sous les dessous de la jeune femme du cinquième gauche qui me sourit poliment mais à qui je n’ai jamais osé adresser la parole. Ces cordes à linge vont d’un mur à un autre, comme un lien entre les habitants : lien social, certes, mais caché du reste du monde, nous sommes à Marseille, pas dans une ruelle napolitaine. Personne n’est visible, il n’y a ici que des traces humaines, ce linge, des volets ouverts, des fenêtres éclairées.
La seconde série, Grisailles, dans les halls d’entrée de ces mêmes immeubles, montre des plafonds grisâtres, dont la splendeur passée, moulures et corniches, est mise à mal par l’écaillement de la peinture, les taches d’humidité et les appareillages électriques de fortune. Ces choses que nous ne regardons plus, que nous ne savons plus voir, Marie Bovo nous les offre par un effet de pesanteur inversée, d’attirance vers le haut, d’envie de plonger dans ce vide informe, et l’éblouissement (stendhalien ?) vient de là.
Elle montre aussi sa série plus ancienne sur les toits du Caire (Bab el Louk), les terrasses comme une image d’un logiciel de CAO 3D, la lumière changeante au cours de la journée, de la roseur matinale à la dureté méridienne à l’éclat bleuté vespéral. Au milieu de l’habitat précaire sur ces terrasses, contrebalançant les lignes droites des murs et des toits, les ronds de dizaines d’antennes paraboliques forment une composition géométrique du plus bel effet. Il y a aussi une vidéo, Subak, qui montre la course folle et improbable d’une pastèque dévalant les ruelles pentues d’une ville coréenne jusqu’à son éclatement final : amusant, sans plus.
Ailleurs dans la MEP, un joli abécédaire de Marc Riboud (J comme joie, l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962; et D comme derrière, celui, joliment rebondi, d’une jeune cubaine) et les sélectionnés du 16ème prix Paris Match du reportage photographique, où cette photographie de Philippe Petit m’a soudain replongé dans les souvenirs de mes vingt ans.
Très beau livre sur ces travaux de Marie Bovo, Sitio (Full disclosure : livre offert par sa galerie). Photos Marie Bovo courtoisie de la MEP; photo Philippe Petit de l’auteur.