Depuis quelques jours, Nathalie Kosciusko-Morizet sourit rarement. Sa brillante promotion lors du dernier remaniement semble bien loin. Elle est attaquée sur plusieurs fronts. Plus habituée à commenter les bonnes nouvelles, la jeune ministre devait cette fois-ci s'habituer à un autre exercice. Elle était à Cancun pour un sommet écologiste quand la moitié nord de la France connut sa première gigantesque pagaille des transports à cause de la neige. Dix jours plus tard, elle était là pour commenter les nouvelles difficultés rencontrées dans les aéroports parisiens. Mais elle devait aussi, et surtout, s'expliquer sur la polémique photovoltaïque, une affaire symptomatique d'une incompétence gouvernementale évidente.
NKM s'explique
Mardi 21 décembre sur France info, Nathalie Kosciusko-Morizet justifiait les 3 mois de moratoire prononcés à l'encontre des installations photovoltaïques : le gouvernement a en effet choisi de suspendre les aides publiques aux projets photovoltaïques de plus de trois kilowatts crête (KWc) jusqu'en mars prochain. Seuls les projets « dans la file d'attente » sont concernés. NKM a apporté deux explications : primo, une « bulle spéculative » se serait développée sur la filière, avec la création de produits financiers ad hoc. Secundo, 90% des équipements installés seraient d'origine chinoise. Or, expliqua la ministre, elle n'a pas trouvé de moyens légaux pour favoriser les fabricants française. « 90 % des panneaux installés en France viennent de Chine (...) On n'a pas été assez stricts sur les critères d'intégration au bâti. (...) Or ces panneaux produisent 1,8 fois plus de CO2 qu'un panneau fabriqué en France.» Cette affaire illustre l'impréparation, voire la désinvolture, avec lesquelles le gouvernement Sarkozy travaille : on lance un dispositif « vert » potentiellement coûteux en aides publiques, on s'autocongratule de l'incroyable effort écolo, et on découvre, quelques mois plus tard qu'il faut tout stopper car on plombe les comptes d'EDF et on subventionne l'importation d'équipements étrangers polluants, importation contre laquelle on ne peut rien en vertu des engagements de libre-échange... On appelle cela de l'incompétence.
Un désastre...
Le 28 septembre dernier, un rapport parlementaire de la commission des Finances détaillait déjà les travers du dispositif de soutien à l'énergie photovoltaïque adopté dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Ses auteurs y dénonçaient un tarif préférentiel d'achat qui plombe les comptes d'EDF, un boom des importations de matériel chinois et des défiscalisations coûteuses pour les entreprises et particuliers qui s'équipent, le tout sur fond d'une obligation d'achat imposée à EDF.
1. Sur le tarif, « l’aggravation récente et à venir des charges de service public » de l'électricité « découle essentiellement de l’obligation d’achat de l’électricité d’origine renouvelable et en particulier de l’électricité photovoltaïque.» Ils rappelaient que le tarif d’achat de l'électricité ainsi produite était beaucoup trop favorable par rapport aux autres productions d'électricité : pour 500 ou 580 euros/MWh, il est dix fois supérieur au prix de marché de l’électricité, sept fois supérieur à celui de l’éolien terrestre, et trois fois supérieur à celui de la cogénération biomasse. Leur conclusion était sans appel : « Il n’est pas étonnant que de tels prix d’achat aient déclenché une véritable bulle spéculative dont le paroxysme a été atteint à la fin de l’année 2009.»
2. L'autre conséquence, plus grave encore, est que cette inflation d'équipements et donc de production d'énergie photovoltaïque déséquilibre les comptes d'EDF qui devrait répercuter sur son tarif aux ménages et aux entreprises. En début d'année, Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, craignait le pire : « nous avons connu, dans l'énergie solaire, une bulle spéculative en novembre et en décembre 2009. L'engagement financier a brusquement atteint plusieurs dizaines de milliards d'euros. La prise en charge par les consommateurs d’électricité de cet engagement généré en seulement deux mois aurait nécessité à elle seule un relèvement significatif du prix de l'électricité, de l’ordre de 10 %, ce qui n'est évidemment pas possible.»
3. La responsabilité du gouvernement est directement pointée du doigt : « l’annonce par le Gouvernement d’une prochaine réduction de ce tarif a déclenché fin 2009 une frénésie d’investissements : le nombre de demandes a parfois dépassé 1 000 par jour en décembre 2009 (contre 1 600 pour toute l’année 2006, 7 000 en 2007 et 25 000 en 2008).» Malgré deux réductions successives et précipitées du tarif, en janvier puis en en mars 2010, l'accélération du volume de contrats d'achats, sur des durées de 20 ans (sic !) s'est à peine ralenti. Les auteurs du rapport chiffraient ainsi l'ampleur des importations de panneaux étrangers, essentiellement chinois : le boom de ces importations a aggravé de 800 millions d’euros notre déficit commercial en 2009 !
3. Enfin, les défiscalisations prévues par le gouvernement s'avèrent coûteuses : crédit d’impôt en faveur du développement durable, exonération d'impôt sur le revenu pour le produit de la revente à EDF, TVA réduite à 5,5%, réduction d’ISF en cas d’investissement en capital dans une PME, et défiscalisation outre-mer.
Au final, la rentabilité d’un projet photovoltaïque a été évaluée entre 11% et 26%. Quel formidable placement financier ! Dans leur rapport, les députés de la commission des finances dénonçaient certains abus évidents, comme ces exploitants agricoles qui sont allés jusqu'à équiper des hangars fantômes, ou quelques enseignes de la grande distribution qui ont créé des filiales dédiées à l'équipement des toitures de leurs surfaces commerciales.
Au final, le gouvernement a été contraint à ce moratoire de 3 mois, via un décret publié le 9 décembre. Plusieurs associations et entreprises du secteur photovoltaïques ont déposé la semaine dernière un recours devant le Conseil d'Etat, pour protester contre ce changement de règlementation annoncé. Des collectivités locales, qui avaient lancé des appels d'offres voire attribué des marchés, s'agacent et s'inquiètent des risques financiers que cette incurie gouvernementale leur fait subir.
... prévisible
Ce dispositif a-t-il été victime de son succès ? Ce mardi, NKM reconnaissait la bourde : « On n'a pas été assez stricts sur les critères d'intégration au bâti. » On n'a pas été assez stricts... Quel aveu ! En octobre 2008, Jean-Louis Borloo lui-même, alors ministre du développement durable, expliquait aux députés en présentant son projet « qu’aujourd’hui la Chine est le premier pays producteur de composants photovoltaïques au monde. » Et pourtant, pas une mesure n'était avancée, parmi les 50 premières décisions du Grenelle de l'environnement, pour adresser ce problème. Dès 2008, l'effet d'aubaine pour les panneaux chinois était prévisible. Un mois plus tard, il n'hésitait pas à promettre une centrale solaire dans chaque région d'ici 2011. En fin d'année 2008, il se félicitait d'avoir pu, « grâce au Grenelle Environnement », « de manière très concrète et opérationnelle, identifier tous les freins au développement des énergies renouvelables » et de les avoir fait « sauter un à un. » Parmi les soutiens décidés, le gouvernement annonçait même, en 2008, une « étude fiscale et juridique » pour faciliter la commercialisation d'offres intégrées : « il paraît judicieux de développer les offres dites « intégrées », dans lesquels des professionnels compétents apportent à la fois des prestations de conseil, font leur affaire de l’installation des équipements, de leur financement, et apportent une garantie.» (mesure numéro 35 du dossier de presse du ministère du développement durable publié le 21 novembre 2008). Où est passée cette étude ?
NKM, qui regrettait l'absence de rigueur sur les fameux critères d'intégration au bâti des équipements photovoltaïques, devrait aussi relire une autre de ces mesures d'il y a deux ans : « La notion d’intégration au bâti donne lieu à interprétation, ce qui altère la visibilité des porteurs de projets et ralentit l’instruction administrative des dossiers. Sa définition sera donc simplifiée avec des critères clairs et robustes d'application automatique.» En d'autres termes, le gouvernement a voulu lui-même simplifier la définition de ces critères.
Au final, comme pour la taxe carbone, le gouvernement Sarkozy, par impréparation et incompétence, a carbonisé une autre ambition écologique, celle du développement d'une énergie réellement propre et renouvelable.
Ami sarkozyste, où es-tu ?