Qui n’a pas été surpris que le Time Magazine choisisse Mark Zuckerberg – le père de Facebook – comme L’homme de l’année? Ou peut-être que la vraie surprise aurait été de voir le même magazine décerner cet honneur à Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Assange a quand même récolté 382,026 votes, soit plus de 10 fois le nombre de votes accumulés par Zuckerberg.
Vu que le Time Magazine a admis que ses éditeurs se réservaient le droit de ne pas accepter le choix du public, de mécontents lecteurs se demandent pourquoi ils ont perdu leur temps à voter.
Devrait-on vraiment faire des remontrances au Time Magazine?
S’ils avaient choisi Assange, les éditeurs du Time Magazine auraient démontré qu’ils ont du cran. Par contre, avec le choix de Zuckerberg ils ont prouvé que comme toute compagnie, ils préfèrent éviter le danger. Mais Facebook est-il vraiment hors-danger?
La différence entre Julian Assange et Mark Zuckerberg
WikiLeaks autorise la fuite de documents confidentiels appartenant à des gouvernements pour « armer » les citoyens tandis que Facebook permet la fuite de renseignements personnels de ses utilisateurs au profit de compagnies spécialisées en publicité. Lequel de ses deux révolutionnaires est moins nuisible?
Une autre différence majeure réside dans la nature même de ces deux sites. Facebook s’inscrit dans le mouvement du web participatif, une bonne manière d’encourager l’égocentrisme de quelques les petites âmes narcissiques qui aiment croire que leur contribution apporte à la communauté.
Par opposition, WikiLeaks qui a commencé en tant que Wiki (site autorisant tout internaute de créer, modifier ou commenter sur du contenu) est maintenant un site web hyper-protégé dont l’actualisation ne se fait qu’avec l’autorisation de Julian Assange. Cela ajoute à la crédibilité du site parce que personne ne peut y ajouter des informations non vérifiées sans qu’Assange ne prenne le temps de mener son enquête. Du coup, WikiLeaks paraît davantage sérieux, moins collectif et plus engagé que Facebook. S’il y avait un seul égo à flatter, se serait bien celui d’Assange.
Le Temps contre le Temps
Le journal européen Le Temps (qui ironiquement signifie The Time) s’est voulu un tantinet sarcastique concernant la consécration du propriétaire de Facebook par le Time Magazine. Dans un article intitulé « Zuckerberg, plus consensuel qu’Assange« , le journal suisse nous livre son analyse:
Trop sensible pour le consensuel Time? La personnalité de Mark Zuckerberg est sans doute apparue plus rassembleuse au jury du magazine. A travers elle, il célèbre l’innovation et «l’optimisme» – celui d’un monde rempli d’amis potentiels (artificiels aussi, mais peu importe). Julian Assange, lui, se meut dans les sombres méandres de la conspiration.
Hors-la-loi ou tout simplement trouble-fête?
Le Time Magazine pourrait répliquer en disant que contrairement à Assange, Zuckerberg n’a jamais été accusé de conduites sexuelles inappropriées. Ce n’est pas contre lui non plus que pourraient peser des charges d’espionnage. Le fondateur de WikiLeaks par contre a des problèmes avec la justice. Même si la plupart des journaux insinuent qu’Assange est victime d’une conspiration, cela n’est pas assez pour soigner sa réputation.
Assange n’avait jamais frappé aussi fort lorsqu’il y a environ deux semaines, il publie sur WikiLeaks un quart de million de documents confidentiels appartenant à l’Armée américaine. En révélant une liste secrète 1 – de sites industriels et d’infrastructure internationaux protégés par les États-Unis parce que critiques – Assange contribue à ce qui pourrait être le fiasco diplomatique le plus désastreux dans l’histoire moderne américaine2.
Obama et sa secrétaire d’États ne sont pas les seuls à ne pas la trouver drôle. Même un ancien conseiller du Premier ministre canadien a déclaré lors d’un entrevue que 3 le fondateur de WikiLeaks “devrait être assassiné”, et qu’il “ne serait pas malheureux » s’il disparaîssait.
Mais Assange persiste et signe. Après avoir été relâché (relativement aux accusations mentionnées plus haut) il a déclaré qu’il se remettait au travail – lequel travail consiste à collecter des documents classés top secret, les trier, en vérifier l’authenticité et l’intégrité avant publication sous WikiLeaks.
Bien que je comprend pourquoi le Time Magazine avait peur d’adopter des positions politiques radicales en choisissant Assange, je ne crois pas qu’avec Mark Zuckerberg ils aient fait si mieux que ça.
Je suis toujours sur Facebook parce que j’ai conscience que fermer mon compte ne changerait rien au fait que tout ce que j’ai pu dire ou faire sur ce site a été partagé et enregistré à mon insu. Même si je supprimais mon profil, je ne pourrais pas récupérer toutes les informations que détiennent déjà des parties tierces à mon sujet.
On a juste de la chance qu’Assange ne soucie pas de la vie du petit peuple et des gens insignifiants comme moi. Sinon, ma pauvre vie aurait déjà été dans les journaux.
Annotations:
1. Dépèche Reuters (en anglais), WikiLeaks lists sites U.S. says vital to interests
2. The Telegraph explique les dommages diplomatiques (en anglais), The Obama Administration owes Britain an apology over the WikiLeaks débacle
3. La CBC.ca détaille l’entrevue (en anglais), Flanagan comments probed by Calgary police
Note spéciale:
La couverture du « Time » ou Julian Assange apparaît en tant que « Trouble of the Year » (je traduirais ici trouble-fête de l’année) est fictive. Cette « couverture » a été créée sous Photoshop par hibiscus jaune dans le but d’illustrer cet article; elle ne représente pas une édition réelle ou existante du Time Magazine.