Parlons aujourd'hui de l'oeuvre la plus réussie du batteur de jazz américain Forestorn Hamilton (Chico pour les intimes) avec son disque le plus connu, "The Dealer", enregistré en septembre 1966 et regroupant pour l'occasion quelques noms célèbres de la scène jazz d'Outre Atlantique. Tout d'abord clarinettiste au sein d'un groupe formé autour de copains d'écoles, ce n'est qu'à partir de 1942 durant son service militaire que Chico étudie sérieusement le solfège et la batterie en compagnie de Jo Jones. En 1948 il rejoint la chanteuse Lena Horne qu'il suivra partout durant près de 8 ans de bons et loyaux services. Un apprentissage qu'il juge indispensable et qui le poussera à devoir sans cesse s'adapter à toutes les situations musicales possibles envisagées par la chanteuse, qu'elles soient rythmiques ou mélodiques (encore aujourd'hui lorsque le calendrier le permet elle continue de s'adjuger ses services pour des dates importantes). Cet endurcissement théorique et pratique va naturellement transpirer sur son jeu (une frappe peu académique alliée à une fluidité constante très reconnaissable), et la rigueur employée à suivre les pas d'un autre (en l'occurence d'une autre) lui ouvrira les portes d'une singularité naissante mise au service de la musique. En 1955, après avoir déjà enregistré comme sideman dans différents projets, il enregistre son premier album en tant que leader pour la firme Pacific Jazz. Suivront plusieurs formations assez diverses et des enregistrements très lucratifs pour le cinéma ou la publicité qui lui rapporteront de quoi monter sa propre maison de production, mais c'est bien en 1966 que la consécration (trop relative) aura lieu lors de la sortie de "The Dealer" chez Implulse.
Egalement reconnu pour sa qualité de découvreur de talents et son aptitude de chef d'orchestre rigoureux et perspicace, il donna alors sa chance à un jeune guitariste de 23 ans encore inconnu du grand public mais qui ne tardera pas à faire parler de lui, Larry Coryell. Un an avant qu'il ne rejoigne le Gary Burton Quartet, Hamilton lui offre ainsi son premier enregistrement officiel (Gabor Gzabo venant de le quitter pour voler de ses propres ailes), et le talentueux jeune homme ne tarde pas à se distinguer. La force du guitariste est de parvenir à donner à cet album un accent blues/rock très prononcé qui marquera durablement les esprits, faisant de "The Dealer" un immanquable et un incontournable parmi les précurseurs naissants du style jazz/rock. Le saxophoniste alto Arnie Lawrence y tient une place tout aussi importante dans le dialogue des compositions où l'improvisation entre les musiciens prédomine allègrement. A signaler également (le phénomène est plutôt rare) qu'Archie Shepp joue du piano sur le morceau de sa composition "For Moods Only", un titre funky à la mélodie hyper efficace sur lequel tous les comparses s'expriment avec une joie et une force irrésistibles. "Larry Of Arabia" (surnom choisi par Chico pour le guitariste) est un morceau blues écrit par L.Coryell. L'orgue fluide de Ernie Hayes et la batterie de Hamilton ne sont là que pour répondre au jeu d'improvisation dans lequel se lance le prodigieux technicien durant plus de 5 minutes. Une entrée fracassante pour un jazz plus moderne qui n'hésite plus à s'inspirer de structures mélodiques différentes de celles qu'on lui connaissait jusqu'ici, quitte à déroger s'il le faut à certaines "règles" d'écritures et de compositions.
Au final, 7 titres tous très différents mais joués tout du long avec la même énergie créatrice et communicative. Si vous aimez les jolies rencontres et les riches associations d'idées de belles factures, alors ce disque est fait pour vous. Blues, rock, soul, jazz, tout y est joué dans une simplicité cachée digne par ailleurs des plus grandes exigences. Ne vous y trompez pas, vous avez bien là à faire à un album "classique" qui malgré les années ne perd pas une ride et garde toute sa spontanéité originelle. Depuis sa réédition en 1999, ce disque compte 4 morceaux bonus supplémentaires enregistrés entre 62 et 65 dans un style plus "conventionnel" mais tout aussi réjouissant. Avouez que ce serait dommage de se priver d'une telle oeuvre et de ne pas la voir figurer dans toute bonne discothèque digne de ce nom.