Du mythe yanomami comme interprétation de l’événement climatique et du rapport à l’autre.
L'ethnie amérindienne Yanomami est présente tant au Brésil qu'au Venezuela et elle occupe dans les deux pays une surface presque équivalente, à chaque fois très importante (près de 84000km2 au Venezuela et 96500km2 au Brésil), et aujourd'hui protégée, bien que sous deux statuts très différents. Ethnie la plus nombreuse à être restée isolée de la société occidentale jusqu'aux années 1970, elle a suscité une intense curiosité de la part d'anthropologues, de généticiens ou de photographes qui lui ont consacré de très nombreux ouvrages, articles, essais, etc.Sa notoriété scientifique et l'exotisme qui l'entoure ont fait des Yanomami des icônes de la lutte pour les droits territoriaux des minorités ethniques. À ce titre, leur lutte a dépassé le cadre du Brésil ou du Venezuela pour faire la une de quelques grands quotidiens internationaux.
Les Yanomami constituent une société de chasseurs-collecteurs et agriculteurs sur brûlis qui occupe un espace de forêt tropicale situé de part et d'autre de la Serra Parima, diviseur des eaux entre le haut Orénoque (au sud du Venezuela) et les affluents de la rive droite du rio Branco et de la rive gauche du rio Negro (au nord du Brésil) Ils forment un vaste ensemble linguistique et culturel isolé, subdivisé en plusieurs langues et dialectes apparentés. Leur population totale est estimée à un peu plus de 33 000 personnes, ce qui en fait un des plus importants groupes amérindiens d'Amazonie à avoir conservé en grande partie son mode de vie traditionnel.
La région Yanomami est principalement recouverte par divers types de forêt tropicale dense,caractérisée par leur très grands diversité d'espèces, leur densité végétale et la continuité de la canopée, qui ne laisse filtrer que peu de lumière dans les sous-bois. Les lits majeurs des cours d'eau, qui sont inondés durant la saison des pluies, se caractérisent par une plus grande abondance de palmiers ou d'espèces mieux adaptées à l'eau.
Leur économie de base se compose principalement dela culture du plantain et d'une soixantaine d'autres plantes(le maïs, le manioc, la canne à sucre, la papaye, le tabac et certaines plantes magiques )- à laquelle s'ajoutent, sur un rayon de 10kms, la cueillette, la chasse à l'arc ainsi que la pêche au harpon et au barbasco (drogue végétale ayant la propriété, lorsque dissoute dans l'eau, d'asphyxier les poissons le temps de leur capture). Environ tous les dix ans, le village entier déménage afin de trouver ailleurs une terre vierge, que l'on défrichera de nouveau. Cette mobilité permet aussi la forêt de se régénérer derrière eux.
La vie des villages n'est donc pas organisée de manière hiérarchique. Si les Yanomami reconnaissent généralement un « leader » dans chaque village, celui-ci est bien plutôt une sorte de premier parmi ses pairs qu'un chef en bonne et due forme. On notera ici que le commerce avec les « Blancs » qui, fussent-ils représentants de gouvernement ou missionnaires, cherchent en général à traiter avec un responsable unique, aurait pu modifier cette pratique et mener à l'introduction de plus d'autoritarisme dans les relations sociales. Il n'en a cependant rien été jusqu'à présent, les Yanomami démontrant une importante capacité de résistance culturelle et refusant constamment d'abdiquer la moindre parcelle de l'absolue liberté individuelle qui les caractérise.
Ces décisions ne sont pas des ordres, mais bien plutôt des recommandations : rien n'obligera jamais un membre de la communauté à réaliser une activité s'il n'en a pas envie. C'est un ensemble composé par le charisme du leader, le bien-fondé de ses propositions et la disposition de la communauté qui explique, par la suite, le suivi ou non de ses prescriptions. Le leader possède un deuxième rôle d'importance, qui est de distribuer les ressources captées à l'extérieur, et d'une manière générale d'assurer que la communauté se trouve dans une situation satisfaisante sur le plan alimentaire et sur le plan des objets de troc. Il doit souvent pour cela payer de sa personne (en ouvrant par exemple des jardins de plus grande taille afin de distribuer quantité d’ aliments durant les fêtes), ou bien en se défaisant d objets de sa propriété au profit de ses « administrés ».
En dehors de leur configuration politique, un autre élément définissant les villages Yanomami est leur importante mobilité. De nombreuses raisons (épuisement des sols propices pour les jardins, épuisement du gibier, épidémies, raids de la part d'ennemis, mort de personnages importants de la communauté, etc.) amènent au déplacement des villages vers d'autres emplacements parfois assez lointains. Sur une longue période, les déplacements des villages dessinent une trajectoire migratoire, souvent sur une longue distance, cohérente avec celle de l'ensemble multi-communautaire dans lequel s'insère le village.
Les villages effectuent aussi des séries importantes de mouvements de courte durée, passant plusieurs mois de l'année à visiter des communautés amies (les fêtes durent en général de une à plusieurs semaines) ou à préparer leurs propres fêtes et cérémonies par des expéditions de chasse collective. Ces mouvements concernent toute la population, mais pas nécessairement en même temps, chaque famille décidant ou non d'accompagner les déplacements en fonction de ses propres impératifs. Dans les régions les plus isolées, dans lesquelles la dynamique guerrière est encore très active, les communautés tendent cependant à rester plus souvent ensemble, de manière à minimiser les risques de raid adverse.
Les relations entre villages constituent, avec les relations internes, le deuxième versant de « la vie politique » locale.
A l'intérieur d'un bloc, les relations s'articulent autour de mariages, de visites rendues à des parents, mais surtout de fêtes intercommunautaires. Celles-ci constituent toujours un temps fort de la vie sociale, permettant de nouer des échanges de tramer des mariages ou des affaires extra-maritales, ou encore de nouer alliances militaires contre des tiers. Certains moments de la fête sont également propices au règlement de vieux différends entre les individus, parfois par de simples échanges verbaux un peu vifs, parfois par des affrontements généralisés, sous forme de duels ritualisés. Dans ce dernier cas, le résultat peut une réconciliation générale, mais également, si l'un des participants décédait,une guerre immédiate entre les villages, chaque mort devant être payée une autre. Les relations sociales au sein des ensembles intercommunautaires parfois entre deux ensembles voisins, oscillent donc toujours entre l'harmonie des fêtes et la possibilité des affrontements guerriers, formant une des caractéristiques culturelles marquantes des Yanomami.
Ils prêtent ainsi à Omama l'origine des règles sociales et des valeurs culturelles en usage, ainsi que la tutelle des esprits chamaniques. Son fils est tenu pour avoir été le premier chaman .Le frère d'Omama, jaloux, brouillon et coléreux - Yoasi -est considéré comme le créateur involontaire de la mort et des maux qui affligent l'humanité.
Cette instauration du monde et de la société des humains actuels a été précédée par une première création, celle des yaroripë, ancêtres à la fois humains (de corps) et animaux (de nom). Le dérèglement de leur comportement (qui inverse les règles de la sociabilité actuelle) a précipité leur transformation en gibier . L'image de ces ancêtres animaux de la première humanité constitue l'essentiel des esprits chamaniques.
L’intrusion des blancs posa un problème classificatoire et cosmologique. Avant d'inclure les Blancs dans une humanité commune, les anciens Yanomami passèrent par une longue période d'observation et d’hésitation sur la nature de ces créatures énigmatiques et dangereuses, qu'ils finirent par dénommer napëpë («étrangers-ennemis»). En effet, leur première vision des Blancs fut celle de spectres revenant sur terre depuis le «dos du ciel» avec la scandaleuse intention de s'établir de nouveau parmi les vivants.(croyance aux revenants essentielle chez les yanomami)
DAVI KOPENAWWA est un chaman et le porte-parole des yanomami. Il est né vers 1956 à Marakana, une grande maison collective d'environ 200 personnes, près de la frontière vénézuélienne. Il vit depuis la fin des années 1970 dans la communauté de ses beaux-parents, au pied de la « Montagne du vent » (Watoriki), sur la rive gauche du rio Demini.
Enfant, Davi Kopenawa voit son groupe d'origine décimé par deux épidémies successives de maladies infectieuses propagées par des agents du SPI et des missionnaires. Il a subi durant un temps leur influence et leur doit son prénom biblique et l'apprentissage de l'écriture.Pourtant rompant avec leur fanatisme et après avoir épousé la fille du « grand homme » chaman renommé de sa communauté, il est initié par celui-ci et retourne à une vocation chamanique entrevue dans l’enfance. Elle lui a fourni, par la suite, la matière d'une conception cosmologique originale qui englobe une réflexion sur la destruction de la forêt amazonienne , le changement climatique, ainsi que sur le « peuple de la marchandise(les blancs). Il va alors s’engager (avec l’ONG SURVIVAL dans une campagne internationale pour la défense de son peuple et de l'Amazonie. Il reçoit en 1988 le Global 500 Award des Nations unies pour sa contribution à la défense de l'environnement.
En mai 1992, durant la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement à Rio de Janeiro (Eco 92 ou « Sommet de la Terre »), il obtient finalement du gouvernement brésilien la reconnaissance légale d'un vaste territoire de forêt tropicale réservé à l'usage exclusif des siens : la Terra Indîgena Yanomami. .
De sa collaboration avec l’ethnologue français BRUCE ALBERT sont nés plusieurs ouvrages dont YANOMAMI.L'ESPRIT DE LA FORET.ET LA CHUTE DU CIEL.TERRE HUMAINE PLON(dont proviennent les extraits suivants)
« Ce sont les paroles que nous écoutons durant le temps du rêve et que nous préférons car ce sont vraiment les nôtres. Les Blancs, eux, ne rêvent pas aussi loin que nous. Ils dorment beaucoup mais ne rêvent que d'eux-mêmes. Leur pensée demeure obstruée et ils sommeillent comme des tapirs ou des tortues. C'est pourquoi ils ne parviennent pas à comprendre nos paroles.
Nous n'avons pas de lois sur des peaux de papier(les livres) et nous ignorons les paroles de Teosi (la bible). En revanche, nous possédons l'image d'Omama(le démiurge) et celle de son fils, le premier chaman. Elles sont notre loi et notre gouvernement. Nos anciens n'avaient pas de livres. Les paroles d'Omama et celle des esprits pénètrent dans notre pensée avec la yâkoana(une poudre hallucinogène) et le rêve. Nous gardons ainsi notre loi au fond de nous depuis le premier temps en continuant à suivre ce qu'Onama a enseigné à nos ancêtres. Nous sommes d'habiles chasseurs parce qu'il a fait entrer dans notre sang les images des faucons. Nous n'avons pas besoin d'apprendre à nos enfants à chasser. Tout jeunes, ils se mettent d'abord à flécher les lézards et les petits oiseaux puis, dès qu'ils grandissent, ils vont chasser du gibier. Omama nous a aussi donné les plantes de nos jardins qu'il a acquises auprès de son beau-père venu du fond des eaux. Il nous a enseigné la manière de construire nos maisons et de couper nos cheveux. Il nous a appris à donner nos fêtes reahu et à mettre en oubli les cendres de nos morts. Il nous a transmis toutes les paroles de notre savoir. Les Blancs, eux, ont leur école pour cela. Ce qu'ils nomment éducation, pour nous ce sont les paroles d’ Omama et des xapiri(esprits chamaniques), les discours hereamu de nos anciens, les dialogues wayamu et yâimu de nos fêtes. C'est pourquoi, tant que nous sommes vivants, la loi d'Omama demeurera pour toujours au fond de notre pensée… »
« Lorsque, parfois, le ciel laisse échapper des bruits menaçant femmes et enfants gémissent et pleurent de frayeur. Ce n'est pas sans raison! Nous redoutons tous d'être écrasés par sa chute comme l'ont été nos ancêtres au premier temps. Je me souviens encore d'une fois où cela a bien failli nous arriver ! J'étais jeune à l'époque. Nous campions en forêt sur un affluent du rio Mapula'. Avec quelques anciens, nous étions partis à la recherche d'un jeune femme de la rivière Uxi u qui avait été enlevée par un homme d'une maison des hautes terres du rio Toototobi. C'était au début de la nuit. Il n'y avait aucun bruit de tonnerre ni d'éclairs dans le ciel. Tout était silencieux. Il ne pleuvait pas et on ne sentait aucun souffle de vent. Pourtant, soudain, nous avons entendu plusieurs craquements sonores dans la poitrine du ciel. Ils se sont succédé, l'un plus violent que l'autre, et ils paraissaient très proches. C'était vraiment inquiétant !
Dans notre campement, tous se sont mis à crier et à sangloter de frayeur : «Aë ! Le ciel commence à s'effondrer ! Nous allons tous périr ! Aë ! » Moi aussi, j'avais peur ! Je n'étais pas encore devenu un chaman et je me demandais avec anxiété : « Que va-t-il nous arriver ? Le ciel va-t-il vraiment tomber sur nous ? Allons-nous tous être précipités dans le monde souterrain ?» À cette époque, il y avait encore de très grands chamans parmi nous car beaucoup de nos anciens étaient encore vivants. Alors, plusieurs d'entre eux ont aussitôt commencé à travailler ensemble pour retenir la voûte céleste. Autrefois, leurs pères et leurs grands-pères leur avaient enseigné ce travail, c'est pourquoi ils ont encore une fois réussi à empêcher sa chute. Ainsi, après un temps, tout est revenu au calme. Pourtant, je crois que cette fois encore le ciel a vraiment failli se briser au-dessus de nous. Je sais que c'est déjà arrivé, très loin de notre forêt, là où il se rapproche des confins de la terre. Les habitants de ces régions distantes ont été anéantis car ils n'ont pas su comment le retenir. Mais là où nous vivons, le ciel est très haut et plus solide. Je pense que c es parce que nous nous trouvons au centre du disque terrestre • Mais, un jour, dans très longtemps, il finira peut-être quand même par s'abattre sur nous ! Il ne voudra plus rester à sa place. II se disloquera et nous écrasera tous. Mais tant que les charria seront vivants pour le retenir, cela n'arrivera pas. Il ne fera vaciller avec fracas, mais ne se rompra pas. C'est ce que je pense !.. »
Le dos de ce ciel tombé au premier temps est devenu la forêt où nous vivons, le sol où nous marchons.
Tous ces xapiri arrivent en très grand nombre. Ils arrachent les haches et les machettes des mains des esprits orphelins en colère. Ils les entourent de leurs bras, les font s'accroupir et s'efforcent de les calmer. Puis, joignant leurs efforts, ils parviennent à empêcher la rupture du ciel. Les esprits paresseux consolident ses fissures à l'aide de tiges du métal qu'ils tirent avec leurs fusils. Les esprits fourmi versent de la glu dans ses brèches pour les colmater. Alors, ses craquements cessent peu à peu. Puis, le silence une fois revenu dans la forêt, les gens de nos maisons - et même ceux qui, souvent, doutent des chamans - se disent : « Ce n'est pas un mensonge ! Ils deviennent vraiment esprits et savent contenir la chute du ciel ! » Nos ancêtres font ce travail depuis le premier temps. S'il n'en avait pas été ainsi, la voûte céleste se serait effondrée sur nous depuis longtemps ! Cependant, malgré tous leurs efforts, elle demeure toujours instable et fragile, à la merci des esprits des chamans morts qui ne cessent de vouloir le découper.
C'est Omama qui nous a créés, mais c'est aussi lui qui a fait venir les Blancs à l'existence.
« La forêt était encore jeune en ce temps. Aussi, à peine le jeune homme eut-il franchi le seuil de son enclos de réclusion que l'être du chaos Xiwàripo commença à amollir puis à décomposer la terre autour de lui. Puis, Motu uri w, la rivière du monde souterrain, se mit à jaillir brutalement en la déchirant de part en part. Ses flot bouillonnants recouvrirent rapidement toute la forêt avoisinante et disloquèrent la maison des gens de Hayowari. C'était terrifiant i Ils furent tous emportés par les flots alors qu'ils étaient encore accroupis en train de chanter ou de se frapper la poitrine. On entendait leurs clameurs se perdre dans le lointain à mesure qu'ils étaient entraînés vers l'aval. Certains tentèrent de s'enfuir dans la forêt : ils devinrent des cervidés. D'autres tentèrent de grimper aux arbres : ils se métamorphosèrent en termitières. La plupart se noyèrent et furent dévorés par des loutres kana et d'énormes caïmans noirs poapoa. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, les chamans doivent travailler pour empêcher l'eau de Motu uri u de jaillir de sous la terre. Le grand trou duquel elle a surgi autrefois à Hayowari est encore visible dans les hautes terres, bien qu'il soit recouvert par la forêt. On peut le voir en avion aux sources de l'Orénoque et des rios Catrimani et Parima. Nous l'appelons également Xiwâripo.
« Des Yanomami qui se noyèrent dans les flots de Motu uri u, il ne resta plus qu'une écume sanglante dérivant au fil des eaux, là où les rivières deviennent très larges.
« C'est Remori, l'esprit de la grosse abeille orangée qui a donné aux Blancs leur langue emmêlée. Leur parler ne ressemble-t-il pas au vrombissement de ces bourdons ? Il a placé en eux une gorge différente de la nôtre. Remori vivait aux côtés d'Omama, en aval des rivières, là où elles deviennent très larges, bordées de vastes étendues de sable. C'est Omama qui, voulant redonner vie à l'écume des gens de Hayowari, l'a exhorté à insuffler un autre langage aux étrangers qu'il venait de créer. C'est pourquoi nos anciens ne comprenaient rien à ce que leur disaient les premiers Blancs qu'ils ont rencontrés. Leur parler inarticulé était pour eux vraiment effrayant à entendre ! Lorsque ceux-ci leur adressaient la parole, ils se contentaient de tendre l'oreille en pensant avec perplexité : « Que peuvent-ils bien vouloir dire ? Est-ce vraiment tout ce qu'ils sont capables de prononcer ? Quelle effrayante manière de parler ! Cette langue n'est-elle pas celle des spectres ? Non, ce doit être un autre parler, celui que Remori a donné aux étrangers ! »
« Omama, Remori et les habitants de Hayowari ont disparu depuis très longtemps de notre forêt. Pourtant, il n'en est ainsi qu'aux yeux des gens communs. Les chamans, eux, savent que leurs spectres y sont toujours présents. Ils ne cessent de faire danser leurs images et de faire entendre leurs chants. En écoutant les anciens qui devenaient esprits, lorsque j'étais plus jeune, je me demandais : « Comment font-ils ? D'où viennent vraiment ces paroles du premier temps ? » Puis, lorsque j'ai bu à mon tour la yâkoana, ils ont fait descendre ces images pour moi. C'est alors que j'ai pu voir à mon tour la métamorphose des gens de Hayowari charriés par les eaux de Motu uri u et les immenses étendues de sable où vit Remori. Depuis, je continue souvent à les contempler dans les rêves de mon sommeil de spectre.
Nous, Yanomami, lorsque nous voulons connaître les choses, nous nous efforçons de les voir en rêvant. C'est là notre manière d'étudier, je l'ai dit. C'est donc en suivant cet usage que, moi aussi, j'ai appris à voir. Mes anciens ne se sont pas contentés de me faire répéter leurs paroles ! Ils m'ont fait boire la yâkoana et m'ont permis d'admirer moi-même la danse des esprits durant le temps du rêve. Ils m'ont donné leurs propres xapiri et m'ont dit : « Regarde ! Contemple la beauté des esprits ! Lorsque nous serons morts, tu continueras à les faire descendre après nous. Sans eux, ta pensée cherchera en vain à comprendre les choses. Elle restera dans l'obscurité et l'oubli ! » C'est ainsi qu'ils m'ont ouvert leurs chemins et ont fait croître ma pensée. À présent, je vais vieillir et m'efforcer de transmettre à mon tour ces paroles aux jeunes gens afin qu'elles ne se perdent pas et ne soient jamais oubliées. Si je n'avais pas connu les xapiri, je serais resté ignorant et je parlerais sans aucun savoir. Grâce à eux, en revanche, mes paroles peuvent se succéder l'une à l'autre et s'étendre partout où ils se déplacent. Elles peuvent évoquer tous les lieux inconnus où ils descendent. C'est notre manière de devenir savants. Nous, habitants de la forêt, nous n'oublions jamais les endroits lointains que nous avons visités en rêve. Le matin, au réveil, leurs images demeurent vives dans notre esprit. En les évoquant, nous nous disons avec satisfaction : « Telle est la beauté des xapiri que les anciens ont connue avant nous ! C'est ainsi que, depuis le premier temps, ils font entendre leurs chants et dansent pour se présenter ! » Ces images reviennent sans cesse dans notre pensée et restent toujours aussi nettes. Les paroles des esprits qui les accompagnent demeurent aussi à l'intérieur de nous. Elles ne se perdent jamais. C'est notre historique. C'est à partir d'elles que nous pouvons penser avec droiture. C'est pourquoi je dis que notre pensée est semblable aux peaux d'images sur lesquelles les Blancs conservent les dessins des discours de leurs anciens… »
« Ces paroles venues de la valeur de rêve des esprits, nous les faisons ensuite entendre aux gens de notre maison. Nous ne les trompons pas comme l'ont fait, autrefois, les gens de Teosi en nous répétant : « Sesusi va descendre dans la forêt ! S'il le veut, aujourd'hui ou demain, il arrivera parmi nous ! » Pourtant, le temps a passé et il ne s'est rien produit. Nous chamans, nous ne parlons jamais de la sorte ! Nous n'abusons jamais les nôtres en regardant des dessins de mots pour pouvoir parler. Nul besoin de fixer nos yeux sur des peaux de papier pour nous souvenir des paroles des xapiri ! Elles sont collées à notre pensée et se pressent à nos lèvres, innombrables, aussitôt que nous devenons esprits nous-mêmes. C'est de cette manière qu'il nous est possible de les révéler si facilement à ceux qui nous écoutent. Ce sont ces paroles sur les choses que j'ai vues en rêve que j'essaie d'expliquer aux Blancs pour défendre la forêt. Si je ne possédais pas de maison d'esprits et si j'étais incapable de voir quoi que ce soit, je n'aurais rien à leur dire. Mes yeux feraient peine à voir, ma voix serait hésitante et ils se rendraient vite compte que l'ignorance et la peur engourdissent ma bouche. »
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