Voici la suite et fin de mon article sur le mythe du Vampire. J'espère que cette série plus sociologique n'a pas été trop dense à avaler. Je vous remercie pour vos commentaires forts sympathiques en tout cas ! Les murmures.
Quelques grandes lignes particulièrement parlantes.
Le genre du vampire
La vision contemporaine du vampire s’appuie essentiellement sur ses adaptations, littéraires et audiovisuelles, du XXème siècle. Je vous renvoie d'ors et déjà à l'excellente note du camarade A.C. sur le dernier numéro de la revue Bifrost, dédié aux suceurs de sang. L’apport du Dracula de Tod Browning, où le compte est incarné par l’inoubliable Bela Lugosi, est indéniable. C’est à partir de cette performance que le mythe du vampire trouvera un écho romantique auprès des contemporains et du grand public. Comme je l’ai évoqué dans la première partie de cet article, cette vision est par ailleurs largement héritée du XIXème siècle occidental. Néanmoins, le XXème siècle, aidé par le développement technologique des medias audiovisuels, renforcera la dimension attrayante du vampire. Cette attraction est notamment traduite par un désir sexuel supposé accru. En effet, si la vision de Tod Browning demeurait soft, celle de Francis Ford Coppola s’appuiera largement sur des histoires d’amours maudites, absentes de l’œuvre de Bram Stocker. Les femmes vampires y apparaissent par ailleurs plus entreprenantes et donc dangereuses dans ce contexte. De là à associer vampire / femme / sexualité débridée / danger, il n’y a qu’un pas que je n’hésite pas à franchir. Anne Rice, dont les croyances religieuses sont à peine dissimulées dans ses Chroniques des Vampires, met également en scène des relations sexuelles implicites entre Vampire et à fortiori entre le « maître » et son « discipline », entre le créateur et la créature. Cette relation privilégiée rappelle les relations de couple typique : le lien est quasi exclusif, unique et stable. La relation construit les différents partenaires et plus encore le nouveau vampire. Cette situation rappelle le mythe du pygmalion, notamment développé dans le livre de François de Singly, Le soi le couple et la famille. Dans les productions contemporaines, le vampire est certes déviant, certes en marge de la société. Il n’empêche que la division sexuelle des rôles, le « genre » en sciences sociales, est parfaitement aligné sur les conceptions communes. Certaines relations sont présentées comme dangereuses socialement et pour l’individu. C’est comme si le message implicite de ces mises en scène était : attention, vous êtes peut être en train de faire quelque chose de déviant, mais ce n’est pas sans risque pour vous. En s’adonnant aux pratiques sexuelles déviantes a priori (les relations décrites par Anne Rice sont largement homosexuées. Le Dracula de Coppola relativise l’exclusivité de la relation : Mina y est une femme adultère, tout comme Jonathan ; Lucie tente de charmer plusieurs hommes, etc.), l’individu court le risque de s’y perdre. La déviance sociale est bien tolérée par la société à condition que les individus y reproduisent des rôles sexués, de genre, bien définis. En effet, les rapports sociaux de sexes sont des rapports de dominations, favorisant le masculin.
Je n’ai pas lu les récentes productions sur les Vampires, Twilight et True Blood en tête. J’ai en revanche vu les deux premières adaptations cinématographiques du livre de Stéphanie Meyer. A première vue, nous retournons à la distribution typique des rôles sexués. L’homme demeure en position de force et d’initiative. La figure féminine demeure en position de soumission. Lorsque Bela prend une initiative dans le film, c’est pour rejoindre ou assister Edward.
Dans la première partie, j’avançais l’hypothèse que le mythe du vampire et surtout ses interprétations contemporaines faisaient écho à des volontés d’émancipations. Qu’en est-il ?
S’émanciper oui, mais pour aller où ?
Les différents exemples contemporains de cercles de vampire témoignent de reproductions d’institutions sociales définies. Chaque institution, même déviante à priori, est normée. C'est-à-dire que les comportements et les actes, voire les manières d’interpréter le monde, sont orientés socialement. Comme n’importe quelle forme de communauté, chacun ne possède pas les mêmes ressources. Par conséquent, chacun ne peut pas prendre les mêmes initiatives, ni ne peut agir avec la même légitimité. Cette stratification est notamment verticale.
Malgré les différents mouvements sociaux qui ont traversés la société, et au gré des acquis qu’ils ont générés, la société demeure sur un modèle proche du patriarcat. Les institutions mises en scène, de la plus éloignée à la plus proche de l’individu (pour schématiser et pour des vertus pédagogiques, de l’Etat à la famille/couple), reposent majoritairement sur une figure, le plus souvent un homme, détenant l’essentiel du pouvoir. Ainsi, nous avons un président (en France, la parité ne concerne que les ministres a priori), très souvent un chef d’entreprise. Très souvent encore, l’homme demeure le mieux payé à profession identique et conserve symboliquement la position de dominant. Jusque très récemment, nous parlions volontiers de « chef de famille ». Bien sûr, l’adulte domine l’enfant en ceci que ce dernier remet son autonomie au premier. Dans le mythe contemporain du vampire, cette hiérarchie verticale est conservée et reproduite : les vampires les plus vieux sont les plus puissants et influants. Ils sont aussi très souvent des hommes ou des figures masculines. Je ne parle pas de mythes anciens (Lilith par exemple) en ceci qu’aujourd'hui, pour le grand public et donc pour les lecteurs les plus nombreux, ceux-ci sont relativement peu visibles ou en tout cas réservés à un public défini et donc délimité. Mais bien sûr, ils existent et pourraient largement relativiser mon propos.
Comme je l’ai souligné plus haut, le masculin l’emporte sur le féminin à priori, dans le mythe du vampire mais aussi et surtout dans la société occidentale contemporaine. L’âge est également un élément de domination. Ces deux dimensions, parmi d’autres, participent à la reproduction de rapports de forces horizontaux. Même parmi les vampires d’un même statut, chacun ne possède pas les mêmes ressources. Un exemple qui m’a fait sourire dans Twilight : à âge similaire, le fait de ne pas être végétarien (et donc de ne pas avoir appris à l’être) est élément stigmatisant. Ainsi, au delà de la dichotomie de genre, les rapports de domination reposent sur l’apprentissage de compétences attendues qui, à un moment du parcours de chaque individu,lui permettront de jouir d’une position hiérarchique supérieur par rapport à ses pairs.
Faire autrement et apprendre à faire autrement : s’émanciper ou revendiquer une identité à soi ?
Pour conclure cette série d’articles sur la déviance, le mythe du vampire et la sociologie, on peut s’interroger sur la dimension émancipatrice de ces productions socioculturelles.
Est-ce que de telles reproductions de rapports sociaux, même dans des contextes a priori déviants, permettent réellement une émancipation ? Si j’allais plus loin, je pourrais même poser la question de la pertinence de formaliser des groupes de déviants tant ces derniers sont très conformes sur bien des dimensions.
Je pense profondément que cela est pertinent. Je pense cependant qu’au lieu de considérer le mythe du vampire, et tout autre mythe similaire, comme valorisant l’émancipation de la société, il vaudrait mieux le lire comme une incitation à revendiquer une identité propre. Cette identité peut être mise en scène dans des contextes en marge des organisations sociales typiques et visibles. Il n’empêche que ces dernières permettent à l’individu d’être davantage auteur de son parcours, en « décidant » des contours et de la forme que prendront les rapports de dominations.
Les murmures