Max | Chiures de mouche

Publié le 21 décembre 2010 par Aragon

C'est précisément le 25 décembre 1959 que j'ai cessé de croire au Père Noël. Quand je me suis réveillé elles étaient toujours là. Mes chiures de mouche. Ça n'avait pas marché.

Le Père Noël c'était donc du pipeau, il pourrait aller  se rhabiller, se faire voir chez les papous ou chez les grecs. L'été précédent mon oncle que j'adorais et qui "m'élevait" m'avait dit sur l'air des lampions que les trois grains de beauté qui se répandaient sur ma joue droite, sous mon oeil, comme trois larmes noires, étaient des "chiures de mouche".

Drôle comme on peut garder en otage, jusqu'à la mort, une phrase assassine ou, selon, une phrase-véhicule de vie aussi, heureusement. Mon oncle était loin d'être un con, je l'adorais, je l'adore toujours. Il m'a tout appris, des paysans dont il était, c'est à dire des vrais porteurs de vie (enfin, autrefois) de Brassens, de Prévert, de la gauche rouge et Pif le chien, de la nature et des animaux,  des forêts et des arbres, tant encore, il m'a donné tout son amour de vrai tonton. Mais il m'a dit au cours de l'été 59 cette phrase que je trimballerai ad vitam aeternam.

Bon, le Père Noël commençait à avoir du plomb dans l'aile quand je voyais, déjà le noël précédent,  que deux jouets qui me faisaient rêver et qui étaient en vente dans la petite épicerie de campagne de ma mère - cet établi de menuisier avec ses vrais outils et cette incroyable tenue d'indien complète - étaient venus atterrir par le mystère du Saint-Esprit au pied du sapin de mes deux potes Alain et Jean-Charles. Je les reconnaissais parfaitement pour les avoir tellement lorgnés, salivé dessus à en faire damner le chien de Pavlov. Il y avait anguille sous roche...

Les parents avaient beaux se planquer pour acheter et déposer, c'étaient eux, ce ne pouvait être qu'eux. Ma foi pour le vilain barbu vêtu de rouge s'émoussait dangereusement. Je lui laissais cependant une chance  de se racheter en ce noël 59, en lui demandant uniquement comme cadeau de faire disparaître mes chiures de mouche.

Le matin du 25 décembre, comme je l'écrivais plus haut, elles étaient toujours là. Elles sont toujours là. Mais les complexes d'un môme c'est redoutable, surtout quand personne n'explique. Je fais partie d'une génération dont les parents étaient atteints à 99,99 % de deux tares rédhibitoires :  la cécité et le mutisme. Ils étaient tous aveugles et muets les parents de cette époque-là. On ne regardait pas un enfant, on ne lui parlait pas. Ça ne se faisait pas. Fallait qu'il se démerde tout seul le chiare, ou avec d'autre chiares, entre eux.

Je les aurai limées, arrachées, passées au chalumeau si j'avais pu, ces foutues chiures de mouche. Bien des noëls ont passés... Mes chiures de mouche me laissent depuis longtemps en paix et je me suis un peu réconcilié avec le Père Noël. D'abord, grâce à mes enfants qui, à trente ans passés y croient encore et puis, je suis moi-même arrivé à le réintégrer quelque peu.

J'espère, grâce à lui, qu'il se passera quelque chose de bon pour la Terre que l'on saccage à outrance et en toute impunité, chez nous aussi, en France, pas l'année qui vient mais en 2012, peut être que les électeurs se ressaisiront enfin. Peut être que dans sa hotte il ramènera aussi de la confiance, de la joie sur les visages de ceux qui sont sans rien, qui sont sans joie, puis des usines et du boulot en France, puis la suppression du sport professionnel, l'interdiction du foot à la télé, etc. On peut toujours croire à tout ça. On peut rêver,  on peut y croire...