Je sursaute, une moto s'écrase sur la rue. Nous nous baignons, je manque de me noyer. Jamais cette impression ne me quittera.
Nous sommes là-bas, au loin, dans un pays de vin, de cerises blanches et de noix. Les parquets sont cirés, un point de Hongrie. La boule en porcelaine surmonte le début de la rampe. Les sols sont en carrés de ciment coloré dans la masse, avec des volutes. Les fenêtres sont bordées de garde-corps -- des garde-morts.
Il y a un fauteuil avec des fleurs, la pièce d'un salon bourgeois sur lequel la petite fille est assise. Elle a les yeux bleus, les cheveux courts d'un blond presque pâle. Tournée de trois quart, ça avait dû être une lutte pour la faire regarder l'objectif, ce grand œil noir qui faisait "clac" lorsqu'on lui appuyait dessus. Son sourire absent trahit l'instant. Dans les petites mains: une figurine en plastique qui surmontait les grands tubes de Smarties; sans doute une "Minnie", mais pas de peluches. Elles piquent, elles grattent, elles sont trop douces pour apaiser le manque.
La route de déroule toujours de la même façon: le sommeil gagne les passagers.Je ne suis bien que là.
La petite a disparu. Morte écrasée par la dernière rame du métro. Ou tombée par terre, le garde-corps n'aura pas suffit. Elle se sera écrasée comme une crêpe sur la chaussée. Les photos n'auront rien changé.