Posté par clomani le 21 décembre 2010
Ce film sortira le 2 mars prochain, et si vous pouvez aller le voir à ce moment, n’hésitez pas une seconde parce qu’il va certainement passer inaperçu, hélas, dans la liste des distributions hebdomadaires de gros « blockbusters » américains ou de « comédies légères » à la française…
Le film est en kirghize et se passe au Kirghizstan, ancienne république soviétique devenue indépendante, située au fin fond des plaines de l’Asie Centrale. Le Kirghizstan est aussi appelé “le pays des montagnes célestes”. Son réalisateur est kirghize et joue le rôle principal de surcroît.
C’est l’histoire d’un électricien-bricolo qui vit dans un petit village aux pieds des montagnes kirghizes et qui travaille à vélo. Dans le village, il a acquis une certaine notoriété pour deux raisons. La première parce qu’il a un rêve : celui de construire des éoliennes un petit peu plus près des montagnes, là où il y a beaucoup de vent, permettant ainsi au villageois et aux environs d’avoir de l’électricité moins chère que celle venue d’ailleurs. La seconde parce qu’il aime rendre service aux pauvres qui n’ont pas assez d’argent pour payer leurs factures d’électricité… il va donc bricoler leurs compteurs, détourne l’électricité en grimpant aux poteaux à l’aide de crampons en forme de croissant (de mon temps, les techniciens EDF en avaient aussi pour aller voir là-haut ce qu’il se passait… après on a eu des poteaux en béton, c’était moins sympa). Bref, l’électricien bricolo monte plus près du ciel grâce aux petits ailerons à pointes métalliques qu’il chausse, tel un Hermès des steppes. Et les montagnes, là-bas au fond, surveillent placidement le va-et-viens de la plaine. Le vent, lui, balaie les feuilles des arbres sur les contreforts des montagnes, selon son gré.
“Voleur de lumière” puisque tel est son surnom a une femme et quatre filles. C’est son grand malheur : pas de garçon ! C’est qu’au Kirghizstan, visiblement, on n’est pas un homme si on n’a pas engendré de garçon. On apprend ce chagrin caché au cours d’une séquence où il revient d’un « bouskachi » qui a eu lieu la veille, et dont la troisième mi-temps a semblé bien arrosée. Son meilleur copain; légèrement plus « moderne » et lui sont « pleins comme des outres » à tel point qu’il abandonne sa bicyclette, pleure et s’endort brutalement après avoir demandé à son pote de faire un fils à sa femme ! Bref la belle cuite. C’est le cheval qui ramène les deux hommes à la maison de son maître.
Hélas, dans le village, dirigé dignement par le maire et un conseil des anciens, règne aussi un caïd, qui roule en 4×4 et a ses gardes du corps. Il a une tête de turc (alors que notre héros a les traits mongoloïdes et porte, comme tous les anciens du village, un couvre-chef en feutrine) et véhicule une mentalité pourrie.
Tout le village sait qu’il veut transformer la belle plaine dont les feuillages d’arbres sont gentiment balayés par les vents, paysage ô combien enchanteur et enchanté, en ville bétonnée avec ses hôtels et surtout son centre commercial. Dans le village, rares sont ceux qui en veulent, de ce projet, surtout pas le maire, qui est alors éliminé.
Mais le corrompu à la tête de Turc va parvenir à son but, malgré la résistance des anciens, et surtout malgré celle du « voleur de lumière » qu’il a réussi à entraîner, par l’intermédiaire de son copain de beuverie devenu une larve depuis que sa femme l’a quitté. Ici, l’avancée de la mondialisation est montrée par l’intermédiaire de promoteurs chinois, invités par « tête de Turc » à participer à des agapes sous une yourte construite à dessein. C’est là que notre voleur de lumière va découvrir la mollesse de son ami, l’indécence des moeurs dissolues du corrupteur… et hélas ne pas en revenir puisqu’il sera tué par les « gros bras » du gros « mondialisateur ».
N’allez surtout pas imaginer que, parce que c’est un film d’un pays qui se termine en « stan », c’est un travail d’amateur ! Loin de là ! La photo est magnifique, les paysages fantastiques, les personnages joués à la perfection par des acteurs et des non-acteurs. Le réalisateur est un pro et ça se voit. L’école soviétique a fait des émules. Je me souviens d’un film de Kontchalovski tourné en Kirghizie il y a longtemps, appelé « le Premier Maître »… c’était quelque peu « à la gloire » des Soviets puisque cet instituteur allait alphabétiser les enfants des villages arriérés du pays. Mais c'était un très beau film, fait avec les moyens de la Kirghizie soviétique (mais aussi par un réalisateur de talent puisqu'il s'agit du frère de Mikhaïlkov, Andreï Kontchalovski).
C'est un film esthétique qui dénonce la mondialisation… dont on peut voir les méfaits là-bas, aux confins des frontières de la Chine riche et consumériste. Une petite perle venue des steppes de l'Asie Centrale…
Débrouillez-vous, mais ne ratez surtout pas ce film lors de sa sortie : il était sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année.