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Neil Jordan s’étant déjà inspiré de contes fantastiques (La compagnie des loups, 1984) et de récits gothiques (Entretien avec un vampire, 1994) par le passé, c’est en terrain connu qu’il se retrouve ici, signant une fable grandeur nature, histoire merveilleuse d’un pêcheur (Colin Farrell, à la filmographie intelligemment travaillée) qui attrape dans ses filets une sublime Naïade à l’accent de l’Est, à tel point belle et mystérieuse qu’il se met à croire aux contes de fées, aux mythes des femmes-phoques, à l’amour, aux chimères, et tout le tralala. Sauf qu’intelligemment, Jordan charcute l’imaginaire par un rappel douloureux à la réalité : sa fille adorée est condamnée par la maladie, son alcoolisme n’est pas tout à fait réglé, son ex-femme est bête comme ses pieds, son petit village irlandais trop riquiqui pour lui. C’est dans cette alternance bien sentie entre beauté de l’imaginaire et cruauté du quotidien que Jordan s’en tire le mieux, offrant en réponse au réalisme le plus morne, toute la force et le pouvoir de l’imagination. Il convoque ainsi- au milieu d’accidents de voiture, de chômage, d’alcool et d’une peinture sociale grise et amère- le folklore local, l’imagerie de l’enfance, et des thèmes aussi riches que la culpabilité, la mort, ou le déni. Sublimé par une photographie incroyablement soignée (merci Christopher Doyle, qui œuvre habituellement chez Wong Kar-waï), son Ondine est un film que l’on ne peut détester, par ses accents naïfs, son allure maussade, son histoire à dormir debout certes, mais emplie d’une tendre poésie, d’une véritable joliesse. Dommage que Jordan se prenne finalement les pieds dans le tapis en levant grossièrement le voile sur les mystères qu’il avait si délicatement distillés, posant des noms, un passé, et une explication à tout ce qui se passait de mots. Ondine (le film, le personnage) se retrouve alors extirpée de son doux ciel de rêveries, ramenée brusquement au réel, au concret. A la banalité, autrement dit.