Magazine

Max | Neige

Publié le 20 décembre 2010 par Aragon

montsegur1.jpgC'était comme demain, le vingt et un décembre, de  1978 il me semble, jour du solstice d'hiver. J'ai garé ma 4L en haut du col du Tremblement, la nuit est encore là, accrochée  farouchement à la neige. Rien, pas un bruit, un silence glacial, je commence à marcher, je connais le sentier par coeur, j'ai un pauvre équipement mais rien ne saurait me faire faiblir. Je ne sais pas pourquoi je suis là.

J'ai quitté Amou vers trois heures du mat pour cette route de l'Ariège. Je voulais voir le jour se lever sur le pog, c'est comme ça, comme une envie de pisser qui m'aurait prise, il fallait que je parte.

La poudre glacée recouvre vite mes guêtres militaires, à certain endroits j'ai de la neige jusqu'au ventre, je m'en souviendrai toujours. J'avance, la nuit lâche prise sur ce qui n'est pas encore le jour. Il va faire beau "demain", c'est ce que je me dis. Je pense à plein de gens, des gens de l'époque bien sûr : Esclarmonde de Foix, Guilhabert de Castres, Loup de Foix l'intraitable. Je suis dans la peau de Béranger du Caylar et je marche dans la neige.

Chaque pas me demande un effort surhumain car il faut que je l'extirpe de sa gangue glacée pour le reposer pauvrement quelques centimètres plus loin. C'est ainsi, Montségur, son dénivelé particulier qui arrache à chaque pas des copeaux de sueur et d'efforts, meurtrissures permanentes rabotées sur le coeur. Des murs de neige sur des pans de rochers me font face, m'entourent parfois sur trois côtés. L'angoisse qui sourd. Pourquoi ? Et dans ce silence blafard, évidemment, pas de réponse au "Pourquoi ?"  En un endroit que je sais, je m'arrête, m'accroupis contre un buis, je pose mon sac à dos, en tire ma gourde et bois une rasade de vin froid, je me roule une cigarette. La fumée se disperse aux quatre vents de mes "Pourquoi ?"

Quelle est la cause de la souffrance ? Je suis taraudé depuis des lustres par l'absence de réponse. Je revois quelques années plus tôt le sourire sarcastique zébrant atrocement le visage poupin de ce salopard de cardinal Spellman, archevêque de New York, qui préconisa publiquement le bombardement atomique de Hanoï. Pourquoi tant de haine ?

Je reprends mon ascension vers ce sommet dérisoire, je reprends le cours de ma folie, j'ai fait presque  quatre cents bornes dans une nuit d'hiver pour me retrouver avec de la neige jusqu'au ventre. Il faut que je marche. Il faut que j'arrive en haut. Il y a une porte qui m'attend, une ouverture dans le ventre de pierre de la muraille.



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aragon 1451 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte