Dans son arrêt du 16 décembre 2010, la Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJUE) récuse le contentieux intenté par la Communauté Européenne à l’Etat français suite à la plainte du groupe Labco qui visait à obtenir l’ouverture totale du capital des laboratoires de biologie médicale.
La garantie de la qualité des prestations nécessite la pleine et entière indépendance du biologiste médical
Dans son arrêté, la CJUE a considéré que la règle limitant à 25% la part du capital d’une société d’analyses médicales détenue par un non-biologiste était justifiée par des impératifs de santé publique, mais que l’interdiction faite aux biologistes de détenir des parts dans plus de deux entreprises de ce type etait bien contraire au droit communautaire, disposition déjà modifié par l’Ordonnance de janvier 2010. Les juges de la CJUE ont donc donné raison à la France de réserver la majorité de détention du capital des SEL de biologie aux seuls biologistes. Ni le principe de libre établissement dans la zone UE ni celui de la libre circulation des capitaux n’ont prévalu pour contraindre la France à ouvrir à 100% le capital de ses laboratoires d’analyses médicales aux investisseurs financiers européens et internationaux.
Le lendemain de ce verdict, le ministère de la santé français s’est félicité dans un court communiqué de la décision favorable à la France rendue par la CJUE. « Les risques soulevés en termes de qualité des services médicaux et de conflits d’intérêts de laisser des non-biologistes détenir une part trop importante d’un laboratoire ont été admis« , a relevé le ministère.
Défendu par le ministère de la santé français et l’ensemble des représentants de la profession, le modèle éthique et praticien de la biologie médicale française, devenue un acte médical depuis l’Ordonnance Ballereau, s’impose à toute l’Europe. Pour que le biologiste médical puisse exercer son art en toute indépendance et responsabilité médicale et non sous l’emprise de considérations d’ordre économique imposé par un conseil d’administration placé sous l’égide de financiers, l’Europe concède à la France la liberté d’imposer que les biologistes médicaux en exercice au sein des structures de LBM restent majoritaires en capital et en droit de vote. Car, relève la CJUE, détenir la majorité des droits de vote ne suffit pas dès lors que « la personne qui détient la majorité du capital d’un laboratoire influe inévitablement sur les décisions que sont susceptibles de prendre les biologistes à l’égard des patients ». Par ailleurs, poursuit la CJUE, « les non-biologistes n’ont pas, par définition, une formation, une expérience et une responsabilité équivalentes à celles des biologistes, et ne présentent donc pas les mêmes garanties que celles fournies par ces derniers« . La protection de la santé publique peut donc justifier les restrictions aux libertés de circulation garanties par le traité, l’objectif consistant à maintenir la qualité des services médicaux relevant de l’une des dérogations prévues à l’article 46 CE, dans la mesure où elle contribue à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé.
Une victoire en demie teinte pour les professionnels
Toutefois, l’arrêt ne modifie en aucun cas les règles d’acquisition en vigueur utilisées actuellement en France. L’investissement dans un nombre illimité de structures juridiques exploitant des LBM est devenu possible depuis l’Ordonnance du 13 janvier 2010 et sa légitimité vient d’être confirmée par l’arrêt de la CJUE. D’autre part, cet arrêt n’oblige pas la France à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir effectivement l’indépendance professionnelle et limiter le rachat massif actuel des laboratoires par des réseaux financiers, via des montages faisant intervenir des sièges sociaux situés en dehors de l’Hexagone.
La SAS Labco ne s’y trompe d’ailleurs pas. Eric Souêtre, fondateur et président du Conseil d’administration de Labco, bien que débouté de sa plainte, reste très optimiste. Dans un communiqué, il considère que l’arrêt de CJUE ne gênera pas le développement de groupes européens de biologie en France puisque »la flexibilité des règlementations européennesre permet la détention de 100% du capital d’un laboratoire français par un laboratoire européen dès lors qu’il est considéré en droit européen comme une personnalité morale « biologiste » ». Cela pénalise donc pour lui essentiellement les biologistes français et les gênera dans la consolidation du marché. Pour lui, ce sont de toute façon essentiellement les baisses tarifaires qui vont très rapidement accélérer les concentrations.
Le Syndicat des biologistes (SDB) considère de son coté que la décision de la CJUE est « très positive« . Il met avant sa démarche ayant pour leitmotiv « l’indépendance des biologistes et la prédominance d’une logique sanitaire sur celle du marché » et met en exergue qu’il entend défendre cette vision dans le cadre de la mise en place de la réforme du secteur.
Le SJBM, de son coté soutient le SDB dans sa démarche et demande donc que paraissent les textes réglementaires attendus permettant de stopper le développement des réseaux de laboratoires en cascades, « fruit d’une vision purement financière de la biologie médicale ». Dans un communiqué largement diffusé, le SJBM demande instamment à l’Etat français la publication de l’article 5.1 de la loi Murcef et ceux permettant l’utilisation des SPFPL dans la restructuration intra-professionnelle et l’intégration des jeunes biologistes dans le capital des laboratoires de biologie médicale.
La balle dans le camp du gouvernement français
Les autorités ont fait jusqu’à présent valoir une réserve prudente sur les possibilités de parution de ces décrets, déjà rédigés en concertation inter ministerielle, très logiquement liée à l’attente du verdict de la CJUE. La Commission européenne avait d’ailleurs fait valoir dans la procédure que la France ne mettait pas tout en oeuvre pour s’assurer que des investisseurs non biologistes ne détiennent pas plus de 25% du capital d’un laboratoire, citant l’exemple de Biomnis (détenu à plus de 50% par une personne morale « biologiste » irlandaise, elle-même détenue à plus de 80% par un fond d’investissement), et que de ce fait, le cadre réglementaire français n’était pas cohérent. L’avocat général de la CJUE avait justifié la position de la France sur ce point en expliquant qu’une autre attitude de la part du gouvernement français aurait pu constituer une discrimination et, en tout cas, une violation des libertés fondamentales prévues par le traité européen, la politique française n’étant donc pas incohérente sur cette question.
Ce verdict est donc d’une importance capitale puisque la CJUE confirme que la France peut limiter la détention du capital pour des raisons éthiques d’indépendance professionnelle et de santé publique.
La France se retrouve donc devant un choix assez cornélien: celui de laisser les choses en l’état et voir progressivement se constituer des réseaux légaux de LBM détenus à 100% par des fonds d’investissement ou décider de faire paraître les décrets prévu par la loi Jacob-Dutreil de 2005 interdisant la dérogation introduite par l’article 5.1 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990, ce qui mettrait un coup d’arrêt aux rachats actuels de LBM par des structures à vocation purement capitalistique.
Le SJBM est déterminé à tout mettre en oeuvre pour qu’obtiennent rapidement gain de cause les jeunes biologistes, représentant l’avenir de la profession, afin de préserver leur indépendance professionnelle et ainsi maintenir un haut niveau de prestation en terme de qualité et d’éthique pour les patients français.
A consulter :
Le verdict de la CJUE (affaire C-89/09)
Communiqué du SJBM verdict CJUE décembre 2010
Réaction de Eric Souêtre, PDG de Labco SAS