dijonscope.com
À le voir en photo dans la presse de ces dernières semaines, lui si discret par ailleurs, on se dit qu’on a affaire à un gentil grand-père. Rien en effet ne distingue à première vue ce vieillard, chef d’entreprise à la réussite exemplaire, hormis le président de la République qui l’a élevé à fin 2008 à la dignité de Grand’Croix de la Légion d’honneur et l’a personnellement décoré « pour les éminents services rendus à la France ». Jacques Servier, faut-il le préciser, gros donateur à l’UMP, fait partie du désormais fameux premier cercle.
Mais sous cet air débonnaire et respectable, se cache un prédateur redoutable à la mâchoire d’acier ; un loup vorace déguisé en mère-grand. À 88 ans, il entretient méticuleusement sa légende de petit pharmacien d’Orléans qui a réussi. Au-delà de toute espérance. Pensez-donc ! Servier est le troisième laboratoire pharmaceutique privé en France par la taille. Mais à quel prix ?
Il aura fallu toute l’intelligence, le courage et la ténacité d’une femme médecin, le Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, pour que la belle image se brouille, se fissure et devienne celle d’un cauchemar. Cauchemar qui prend le nom d’un médicament dont il s’est vendu par ce laboratoire plus de 145 millions de boîtes depuis 1976 : le Mediator, avant qu’il ne soit beaucoup trop tardivement interdit à la vente en France, en novembre 2009.
Pourtant, le laboratoire Servier dont Jacques Servier est l’inamovible président, aura tout tenté pour la réduire au silence et empêcher puis retarder la parution de l’ouvrage dont elle est l’auteure : « Mediator 150 mg » aux éditions Dialogues et dont le sous-titre « Combien de morts ? » fut, en dernier ressort, censuré par décision de justice à la demande dudit laboratoire.
À ce jour, il semble bien que le chiffre de 500 morts attribué aux effets sur le cœur de cet antidiabétique dont la dangerosité fut signalée dès 1998 et qui a été largement détourné de son objet pour servir de coupe-faim, ne soit que l’estimation basse des dégâts humains dont il est responsable. Le chiffre se situerait plutôt entre 1.000 et 2.000 morts.
C’est, à n’en pas douter, un énorme scandale de santé publique qui se profile à l’horizon après l’affaire du sang contaminé qui éclata en 1991, comme celle de l’hormone de croissance, et enfin celle de la canicule qui fit en 2003, près de 20.000 morts. L’enquête s’annonce longue. La justice devra tôt ou tard dire où, et à quel niveau, se situent les responsabilités. Du laboratoire qui ne pouvait ignorer les effets néfastes de son médicament, mais a privilégié ses profits ? Des responsables successifs de l’Agence du médicament (l’AFSSAPS) chargée de la mise sur le marché et du suivi de la performance des médicaments ? Des experts, théoriquement indépendants, mais dont un certain nombre ont eu, à des degrés divers, des conflits d’intérêts en regard des avis qu’ils avaient à délivrer pour cet organisme ? Des politiques enfin, dont on sait que jusque dans les plus hautes sphères de l’État, des ministres et de très hauts responsables ont fait dans les laboratoires privés, une partie de leur carrière professionnelle ? Et qu’ils auraient pu, par diverses manœuvres, contribuer à protéger les intérêts de l’industriel pharmaceutique au détriment de la santé publique.
Reynald Harlaut
Sources :
Hebomadaire Marianne N°709 du 20 au 26 novembre 2010, pp. 35-38 :
Irène Frachon, le médecin qui a eu la peau du Mediator.
Hebomadaire Marianne N°711 du 04 au 10 décembre 2010, pp. 38-42 :
Mediator – Les étranges méthodes de monsieur Servier.
Éditions Dialogues :
http://www.editions-dialogues.fr/livre/mediator-150-mg/
Jacques Servier :
« Quand Sarkozy encensait Jacques Servier »
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/54882/date/2010-11-17/article/quand-sarkozy-encensait-jacques-servier-fabricant-du-mediator/
Rue 89 : « Voici comment on arrive à plus de 1000 morts pour le Mediator »
http://www.rue89.com/2010/12/18/voici-comment-on-arrive-a-plus-de-1-000-morts-pour-le-mediator-181350
Médiator – Sur le médicament lui-même :
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/medecine/d/mediator-le-medicament-qui-fait-mourir_26109/