Le Voleur de Lumière

Publié le 20 décembre 2010 par Mg

Le « voleur de lumière » du titre, c’est celui que tout le monde, dans son village des montagnes kirghizes, appelle « Monsieur Lumière », à savoir l’électricien du village. On le comprend vite, M. Lumière (on ne le connaîtra pas sous un autre nom) apporte tant la lumière électrique que la lumière du cœur : il parle, réconforte, aide. Car s’il est « voleur de lumière », c’est qu’il trafique les compteurs de ceux qui ne peuvent pas payer. Il vole pour mieux donner, comme un Robin des Bois, mais pas tout à fait, plutôt par un geste de bonté spontanée, en marge des calculs des puissants. A peine matérielle, la lumière semble pouvoir si facilement se soustraire aux décomptes mathématiques, et économiques… Dans le domaine de l’invisible, il donne dans un même geste lumière (électrique) et réconfort. Le Voleur de lumière, sélectionné pour la Quinzaine des Réalisateurs en 2010, est le troisième long-métrage d’Aktan Arym Kubat, réalisateur kirghize et interprète du rôle-titre, pour la première fois devant la caméra. La plupart des acteurs sont d’ailleurs des non-professionnels.

Le film reprend le thème rebattu de David contre Goliath, de la tradition paisible et humaine face à la modernité calculatrice et destructrice. Cet aspect du film est traité de manière conventionnelle, mais ce n’est pas là que réside l’intérêt du Voleur de lumière, même si la dimension polémique est de premier ordre: le réalisateur dénonce la corruption qui règne au Kirghizstan, ainsi que les pratiques de pouvoir arbitraires. Le film a été tourné après la « Révolution des Tulipes » de 2005, qui a remplacé un régime devenu autoritaire par un autre qui l’est devenu tout aussi vite. Par la télévision, des bribes de cette réalité politique parviennent dans ce village apparemment isolé et protégé, où l’on ne voit pas ce qu’il y a derrière les montagnes (on rêve juste de le voir), et qui pourtant subit de plein fouet les répercussions de la corruption et de l’indifférence au sort des plus démunis.

Mais là où Le Voleur de lumière est le plus réussi, c’est dans la peinture d’un mode de vie aimé mais mis à mal et menacé, dans lequel les relations humaines ne sont ni parfaites ni faciles, dénuées ni de frustrations ni de brutalité, mais sont pourtant directes et dégagées de la médiation de l’argent, de la fourberie. Au sein du film, c’est la figure caractéristique de M. Lumière, grimpant aux poteaux avec ses crochets aux pieds et retenu par une ceinture bricolée, qui orchestre tous ces liens. Son vol de lumière est-il un acte politique, en faveur d’une « polis » où entraide et sympathie auraient leur place ? Sa femme, pour plaisanter, l’appelle une fois « mon révolutionnaire » ; mais c’est une ébauche d’action politique, à peine vécue comme telle. Acte fait par bonté par un homme naïf et crédule, qui se fait presque berner par ceux auxquels il s’oppose. Son rêve, généreux, de construire un ensemble d’éoliennes près du village pour fournir de l’électricité à bas prix à tous les habitants, semble ne pouvoir être mis à exécution qu’à condition d’être récupéré comme projet lucratif, indifférent aux villageois.

Le film est parsemé d’à côtés, d’images périphériques qui en sont pourtant le cœur, concentrant le sens qui est à sauver : images de la vie de tous les jours, scènes de complicité. Cette vie « en petit », loin des tractations destructrices venues de l’extérieures, n’est pas étriquée. Elle est vue d’en haut. La réalité simple n’est pas enfermée dans la matérialité ou dans la dureté des conditions de vie, mais s’ouvre sans cesse sur le rêve, la fantaisie et le lien humain. La vision est un peu éthérée, juste ce qu’il faut, ponctuée de plans aériens, de fondus au noir, au blanc, qui laissent respirer et savourer, d’anecdotes dont on ne voit pas la fin, qu’on quitte une fois que tout est dit, que l’essentiel est montré, qu’on a compris. Traces de mains, traces de pas, le film aussi montre des traces, traces de cette lumière (au sens métaphorique), de la lumière de la vie au village et de la lumière des gens, qu’on sent mais qu’on ne voit pas, comme l’électricité.

Le Voleur de lumière ne finit pas vraiment bien, mais le symbole final (une ampoule qui s’allume, comme pour résumer le film : l’activité d’électricien de M. Lumière, la lumière, humaine, qu’il apporte dans les maisons, et cette même lumière dont le film est le produit) est porteur d’espoir et d’optimisme -aux dires du cinéaste lui-même, d’espoir quant à l’avenir de son pays.