Récente coqueluche des médias qui lui rendent à leur façon ses amabilités, Jean-Luc Mélenchon est un phénomène politique qui prend de l’ampleur dans la perspective de la présidentielle de 2012. Au-delà du débat maintes fois évoqué sur la nature populiste ou pas du discours de l’ex-socialiste, cette ascension est également consubstantielle à l’avenir de l’extrême-gauche française qu’il tutoie de plus en plus.
Une force politique à la marge
L’extrême-gauche, si elle n’existe pas stricto sensu qu’en France, est tout de même un des particularismes du spectre politique français. Si on la définit par ce qui se trouve à gauche du PS mais aussi du PC, on dénombre ainsi trois partis, tous trotskystes, qui malgré une base militante limitée sont présents à la plupart des élections de la Vème République : Lutte Ouvrière, le NPA (qui a succédé à la Ligue Communiste Révolutionnaire) et le Parti des Travailleurs. Deux d’entre eux ont d’ailleurs obtenu des scores non négligeables lors de l’élection reine de notre régime politique puisqu’Arlette Laguiller (LO) a dépassé en 2002 la barre des 5% (5,72%), une barre qu’a approchée deux fois Olivier Besancenot pour la LCR (4,25 % en 2002 et 4,08% en 2007). Une force politique qui n’est certes jamais associée au pouvoir avec les autres forces de gauche mais qui pèse pourtant dans le débat politique français.
L’attrait pour la gauche radicale n’est pourtant pas immédiatement perceptible dans les enquêtes d’opinion. Seuls 4% des Français se plaçaient en novembre 2010 « très à gauche » sur l’axe gauche-droite (IFOP pour France Soir). On remarque d’ailleurs aussi que seuls 3% de Français se placent « très à droite » alors que les scores du l’extrême-droite française approche ou dépasse régulièrement les 10%. Ce décalage montre bien la différence qu’il peut exister, particulièrement pour des partis extrêmes, entre un noyau dur de militants et de sympathisants stables et une masse plus informe d’électeurs potentiels pouvant selon les circonstances se révéler sensibles à un discours opportun.
Une grande partie des électeurs ralliant les candidats ou listes d’extrême-gauche quand celles-ci font des scores importants appartiennent ainsi aux non-sympathisants, ces 33% de Français qui dans la même enquête IFOP ne se situent ni à gauche ni à droite. 44% des sympathisants LO / NPA refusent ainsi de se placer à gauche ou à droite. Cet électorat protestataire ne se reconnaissant pas dans les partis politiques traditionnels a besoin pour se mobiliser de personnalités incarnant différemment des grands leaders politiques un discours et des idées.Dans un contexte de dépolitisation et de perte de confiance croissante envers le monde politique, l’extrême-gauche réussit donc électoralement quand elle sait s’adosser à un leader charismatique portant la colère des électeurs protestataires. Ce fut longtemps la base de la popularité d’Arlette Laguiller. C’est aujourd’hui, dans un style différent, celle de la jeune mais déjà animée carrière d’Olivier Besancenot. C’est enfin sur ce même terreau politique que cherche à émerger Jean-Luc Mélenchon.
De la place pour deux en 2012 ?
Reste à savoir s’il y a assez de place à gauche de la gauche pour deux figures protestataires. La réponse peut être positive si l’on considère qu’atteindre 5% à la présidentielle serait en soi une réussite pour les deux forces politiques concernées. Olivier Besancenot oscille ainsi aujourd’hui entre 4,5 et 7% des intentions de vote dans les derniers sondages publiés par TNS-Sofres et l’IFOP tandis que Jean-Luc Mélenchon fait entre 6 et 7,5% selon les candidatures socialistes envisagées. Ce n’est pas en soi une première : les trois listes d’extrême-gauche avaient réalisé plus de 10% en cumulé en 2002 (presque 14% si l’on ajoutait le score de Robert Hue pour le PC). Ce score historique avait en revanche tenu en grande partie à la faiblesse elle aussi historique du candidat du PS (Lionel Jospin, 16,18%).
C’est d’ailleurs pour cette même raison que l’éventualité d’une candidature de Dominique Strauss-Kahn ne stimule pas les scores de l’extrême-gauche malgré l’image de repoussoir pour la gauche radicale qu’il semble porter. Les gros scores de premier tour de DSK réalisés dans les sondages récents (29% pour l’IFOP, 27% pour la Sofres) semblent au contraire mécaniquement tasser les intentions de vote en faveur des leaders du NPA et du Parti de Gauche : 4,5% pour Besancenot et 6 % pour Mélenchon dans le sondage IFOP, 6,5% et 6% pour la Sofres, soit à chaque fois les scores les plus bas constatés par rapport aux divers candidats socialistes testés. On constate même dans l’enquête de la Sofres d’excellents reports de voix des électeurs de Besancenot et Mélenchon vers le patron du FMI dans un hypothétique second tour : 82% pour les électeurs du NPA et 72% pour ceux du Front de Gauche.Tous deux ont donc besoin d’un Parti Socialiste fragilisé au premier tour. Ce n’est pas un hasard si le bon score de Ségolène Royal en 2007 (25,9%) avait coïncidé avec un reflux de la gauche radicale par rapport à 2002: 5,75% pour les trois partis trotskystes, 1,93% pour le PC auxquels ont peut également rajouter les 1,32% de José Bové. La concurrence sera donc d’autant plus rude entre les deux figures de la gauche radicale que le PS sera en passe de faire un bon premier tour. Cela peut-il donner lieu à une bataille d’électorats entre Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot ? Le fait que Jean-Luc Mélenchon récupère aujourd’hui 20 à 30% des électeurs d’Olivier Besancenot en 2007 pourrait inciter à le penser. Rien ne nous permet toutefois encore d’affirmer que le NPA et le Front de Gauche veulent rentrer dans un rapport de forces dont sortirait une seule force hégémonique à gauche du PS. Le début des hostilités devra au moins attendre que les investitures se fassent en bonne et due forme.
Deux projets inscrits dans le même espace politique
Bataille ou pas entre les deux camps, les deux candidats potentiels n’abordent en tout cas pas la pré-campagne de 2012 dans les mêmes conditions.
Olivier Besancenot est lui en terrain connu. Déjà candidat à deux élections présidentielles, sa popularité est de ce fait mieux installée que celle de Jean-Luc Mélenchon. Il recueille en effet 50% de bonnes opinions dans le dernier baromètre des personnalités IFOP-Paris Match. Plus intéressant encore, sa popularité est très homogène au sein de la gauche radicale : 95% évidemment chez les sympathisants LO/NPA mais aussi 74% chez ceux du PC et du PG. Ce qui n’est pas le cas pour le leader du Parti de Gauche : si 58% des sympathisants PC et PG ont une bonne opinion de lui, c’est seulement le cas de 29% des sympathisants LO/NPA. Conséquence de cette constance dans l’opinion, il reste à des niveaux d’intentions de vote qui pourraient lui permettre de reproduire voire de dépasser son score des élections précédentes.La perspective d’un bon score en 2012 n’est pourtant paradoxalement peut-être pas une fin en soi pour lui et son parti. Le NPA se voulait à sa création il y a plus d’un an un mouvement ouvert capable de rassembler tous les courants de la gauche radicale en faisant le deuil de son passé trotskyste. Il ne semble pas dans cette perspective que l’électorat potentiel du NPA soit radicalement différent de celui de la LCR. Les électorats clés du NPA ressemblent encore beaucoup à ceux d’Olivier Besancenot en 2007. Les derniers sondages publiés le créditent ainsi de 10% voire plus des intentions de vote chez les moins de 35 ans, les ouvriers et les chômeurs. Un phénomène que l’on observait déjà lors de la présidentielle de 2007. Olivier Besancenot estampillé NPA conserve donc l’assise dont bénéficiait Olivier Besancenot estampillé LCR chez ses cibles clés. La polémique sur la candidate voilée lors des régionales a d’ailleurs soulevé des débats internes au sein du parti que la remobilisation autour de son leader pour 2012 ne devraient pas totalement éteindre.
Face à ce relatif statu quo du NPA au sein de l’extrême-gauche, Jean-Luc Mélenchon semble lui vouloir récupérer la vieille maison du Parti Communiste pour créer un courant majoritaire à gauche du PS dont il serait le leader naturel. Ce projet est toutefois encore soumis à quelques incertitudes. La première est la réaction du Parti Communiste face à l’émergence de l’ancien socialiste. S’il ne fait guère de doute qu’il pourrait leur apporter un score sensiblement plus élevé que celui réalisé en 2007 (1,93% avec Marie-George Buffet), il est difficile pour certains de tourner la page d’un parti qui fut tout de même la première force de gauche pendant les trois premières décennies de l’après-guerre.
C’est peut-être pour cette raison que le PC tient a opposer à Jean-Luc Mélenchon son propre candidat, André Chassaigne, auréolé du meilleur score du Front de Gauche lors des régionales (14% en Auvergne). Il s’agit de montrer que le PC ne fermera pas boutique sans que le leader du Parti de Gauche n’ait fait lui aussi quelques concessions. Cela ne semble toutefois pas tromper les sympathisants du Front de Gauche, qu’ils soient plus proches du PC ou du PG : 66% d’entre eux pensent que Jean-Luc Mélenchon sera candidat en 2012 selon un sondage IFOP pour France-Soir en novembre. Or on voit mal les deux parties du Front de Gauche aller jusqu’à rompre tout accord en vue de 2012 pour présenter chacune leur propre candidat.
Mais au delà de la perspective de la présidentielle de 2012, il reste également à Jean-Luc Mélenchon et au Parti Communiste à se mettre plus largement d’accord sur l’avenir. Les régionales de 2010 avaient montré à ce sujet que la stratégie commune du Parti de Gauche et du Parti Communiste est encore en gestation : le Front de Gauche n’est ainsi parti en campagne sous sa forme normale (PC + PG) que dans 14 régions. Dans cinq régions, les militants du PC ont préféré s’allier dès le 1er tour avec le PS (Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Lorraine, Champagne-Ardenne) tandis que le Front de Gauche a été élargi aux NPA dans trois autres (Limousin, Pays-de-Loire et Languedoc-Roussillon). La nature même du Front de Gauche reste donc à clarifier.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
En effet, alors que le PC est depuis des années un partenaire naturel, mais dominé, du PS, Jean-Luc Mélenchon cherche lui dans son discours à se démarquer le plus possible de son ancien parti. Un pari risqué quand on sait que la plupart des élus locaux subsistant encore au PC le sont essentiellement grâce à des désistements accordés par le Parti Socialiste. Cette intransigeance à l’égard du PS le rapproche d’ailleurs plus en cela du NPA qui a refusé l’association systématique avec le Front de Gauche aux régionales parce qu’il ne voulait pas de majorité de second tour avec le PS. Le Parti Communiste est-il lui prêt à faire le saut ? La question n’a toujours pas été tranchée.
Est-ce que le succès de l’alliance avec le NPA lors des régionales (notamment en région Limousin : 13,13%) peut appeler d’autres alliances ponctuelles ou durables à l’avenir ? La réponse du PCF à cette problématique sera essentielle : veut-elle et peut-elle prendre le risque de couper les ponts avec le PS ? Dans le cas contraire, Jean-Luc Mélenchon peut-il conserver l’élan du Front de Gauche sans l’appoint non négligeable du PCF en termes de militants, d’élus locaux et de relais dans l’opinion ?Situé à mi-chemin de l’extrême-gauche et de la gauche communiste, Jean-Luc Mélenchon pose donc des questions à la fois au NPA et au Parti Communiste. Au NPA parce qu’il interroge la possibilité ou pas pour l’ex-LCR de changer définitivement de culture politique en s’ouvrant aux alliances ou sein de la gauche. Au PC parce qu’il interroge ce que veut être le Parti Communiste en 2010 : un parti toujours auto-suffisant placé entre le PS et l’extrême-gauche ou un courant destiné à se dissoudre tôt ou tard dans une confédération des gauches radicales.
Mais l’ancien mitterrandien lui-même ne pourra pas à terme éviter de clarifier certaines positions. Veut-il s’émanciper totalement de la tutelle du PS ? Cela semble être en tout cas ce que ressentent les sympathisants du PS puisqu’Olivier Besancenot a dans le dernier baromètre IFOP une popularité auprès de ceux-ci de 17 points supérieure à Jean-Luc Mélenchon (63% contre 46%). S’il veut au contraire toujours évoluer dans une majorité plurielle, donc potentiellement dominée par le PS, cela pourrait faire du Front de Gauche une coalition moins attrayante pour des courants de la gauche radicale pour qui toute alliance avec le PS est synonyme de compromission.
Les mois qui viennent permettront sans doute de clarifier certaines positions et de découvrir si Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon ont vocation à se livrer un duel ou si au contraire le NPA et le Front de Gauche peuvent redessiner ensemble le paysage de la gauche radicale.