Nous voici au cœur du grand matraquage de l’année pour faire marcher le commerce des e-machins, i-trucs, smart-choses et autres play-bidules… Bref de tous ces outils aussi vite démodés que déballés, grâce auxquels plus on communique et moins on se cause. Je vous propose plutôt d’offrir quelques-uns de ces objets un peu ringards faits de papier et de carton : des livres ! Vous savez, ces petits pavés que l’on a plaisir à dévorer d’un coup ou à picorer au fil des jours, que l’on peut exposer sur sa table basse ou emporter en voyage, que l’on peu oublier sur une étagère et reprendre en main avec toujours autant de plaisirs quelques années plus tard. Des cadeaux qui parlent autant de celui qui les offre que de celui à qui ils sont destinés. Voici donc quelques suggestions de livres récents, suggestion forcément partielles, tant le millésime 2010 a été productif :
Pour un amateur de Bordeaux :
Un abonnement à la revue du même nom ? C’est certainement une excellente idée, mais le livre incontournable de l’année pour tout amateur de Bordeaux qui se respecte est sans conteste celui d’Eric Bernardin et de Pierre le Hong. Il est le fruit de trois années de travail inlassable, avec de nombreuses visites au sein de vingt châteaux prestigieux qui s’égrènent le long de la Départementale Deux. Le résultat est à la fois d’une densité extraordinaire, tout en restant d’un abord très agréable. Le ton est très vivant, avec notamment des entretiens avec ceux qui font le vin ou ceux qui dirigent ces châteaux. Le livre est très largement illustré, de photographies bien entendu, mais aussi, et là est là très grande nouveauté qu’il apporte, d’infographies en trois dimensions. Vues des bâtiments en coupe, carte géologique de la région, cartes pédologiques des domaines, parfois illustrées par des dégustations parcellaires… Vous verrez le Médoc comme on ne vous l’a jamais montré ni expliqué ! Rares sont les ouvrages aussi bien documentés, à tel point qu’il bénéficie du patronage enthousiaste de Hugh Johnson, quelqu’un qui s’y connait en cartes…
Crus classés du Médoc – Le long de la route des châteaux. Eric Bernardin & Pierre Le Hong. Préface de Hugh Johnson. 208 pages. Editions Sud-Ouest. 2010. 39 €. En lire plus…
Pour un curieux de Bourgogne :
La notion de « terroir » revient aujourd’hui en force après des amateurs, alors que le marketing pousse de plus les vignerons à mettre en avant la notion de « cépage ». Trop compliqué, le découpage français des appellations, sous-appellations, crus, parcelles, etc. pour rendre nos vins vendables sur la scène internationale ? Que penser alors des « climats » bourguignons, certainement le découpage le plus complexe qui soit et que la région souhaite voir inscrire au patrimoine mondial de l’humanité ? Le rôle clé de la localisation de la vigne sur la qualité des vin de Pagus Arebrignus a été supputé dès Virgile (70-19 avant Jésus-Christ), et théorisé par Columelle, au Ier siècle de notre ère, dans son traité De re rustica. Mais ce sont les moines-vignerons bénédictins qui l’ont réellement mis en pratique, dès le Vème siècle. Par la simple, mais rigoureuse observation de la nature, ils délimitèrent puis classèrent les nombreuses parcelles. En les désignant par le terme « climat », un terme spécifiquement bourguignon, ils montrèrent que la podologie et la géologie interagissent fortement avec la climatologie, voire la méso-climatologie, dans le résultat. Jacky Rigaux illustre notamment ce propos en montrant que les grands crus et les meilleurs premiers crus sont toujours installés sur des parcelles en légère pentes orientées vers l’Est. Ainsi bien protégés des vents les plus froids dans la région, la maturation des raisins peut s’y effectuer de manière aussi optimale que possible.
La constance de ces délimitations dans le temps (les limites du clos de Bèze sont rigoureusement inchangées depuis sa création en 630) donne une idée de la précision quasi-chirurgicale de la notion de « climat », tout à l’inverse de l’usage de plus en plus extensif du terme de « terroir ». Si Jacky Rigaux explore le sol et les airs, Claude Chapuis nous fait davantage voyager dans le temps. Avec la même simplicité de ton qui caractérise son précédent livre, Le chemin des vignes , ce denier nous conte ici vingt siècles d’histoire des vins en Bourgogne et surtout des hommes qui l’ont fait. Avec érudition et passion, il évoque légendes héroïques et faits avérés, chansons populaires et personnages romanesques, pour nous faire revivre cette histoire chargée de mystères. Voilà donc deux excellents livres parfaitement complémentaires, que l’on (s’)offrira avec plaisir, même si, notamment sous l’effet de la spéculation, les plus grands vins évoqués ici sont le plus souvent inaccessibles au commun des mortels…
Le Réveil des terroirs – Défense et illustration des climats de Bourgogne. Jacky Rigaux. Préface d’Aubert de Villaine. 118 pages. Editions de Bourgogne. 2010. 15 €.
La Mémoire des coteaux – La formidable histoire des vins de Bourgogne. Claude Chapuis. 172 pages. Editions de Bourgogne. 2010. 18 €.
Pour un maniaque d’Alsace (éventuellement monomaniaque…) :
Terre d’accueil autant que de passage, l’Alsace a connu, du fait de sa situation centrale en Europe, une histoire mouvementée. L’historien Claude Muller explore celle-ci sous l’angle de sa viticulture, un pilier de la culture et de l’identité alsacienne, façonné, comme les autres piliers, par des influences diverses et croisées. Douze siècles de viticulture défilent dans ce livre très complet, de plus de 350 pages. Hérités de l’époque romaine, c’est avec la période de l’extension monastique du VIIIème siècle que les vignobles se sont largement étendus en Alsace. Le vin qu’ils produisaient figurait dès le Moyen-âge parmi les plus réputés d’Europe. Mais la guerre de Trente ans, qui ravagea l’Alsace faillit, en avoir raison. Plus pernicieux, c’est ensuite le phylloxéra qui s’évertua à dénuder les coteaux de vignes. Mais c’est l’effet de l’annexion allemande, après la guerre de 1870, qui donna pour longtemps aux vins d’Alsace une très mauvaise réputation. En effet, la politique du Reich fut d’arracher les plants nobles pour les remplacer par des cépages moins qualitatifs mais très productifs. Il fallut attendre les années 1920, mais surtout le lendemain de la seconde guerre mondiale, pour que les viticulteurs alsaciens reprennent le chemin de la qualité. Tous ces événements sont bien entendu détaillés. Mais Claude Muller aborde également, avec la même précision d’historien, les climats, les modalités de culture et de vinification, la dimension économique, les fêtes du vin, la dégustation... dans ce livre richement illustré de reproductions d'œuvres d’art, de documents d’époque et de photographies.
Alsace – Une civilisation de la vigne, du VIIIème siècle à nos jours. Claude Muller. 352 pages. Editions Place Stanislas. 2010. 22 €.
(à suivre)