Caesar van Everdingen (Alkmaar, c.1617-1678),
Vertumne et Pomone, c.1637-40.
Huile sur bois, 47,9 x 38,9 cm,
Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.
Pour des raisons historiques, les artistes du Nord ont trouvé en Espagne une terre d’accueil particulièrement favorable qu’ils soient peintres, comme Hans Memling ou Jheronimus Bosch, ou musiciens, ainsi que l’atteste la fondation, par Charles Quint, d’une Capilla flamenca (« chapelle flamande ») implantée à Madrid dès 1516, où officièrent, entre autres, Gombert et Manchicourt. C’est sur la production profane d’un compositeur qui lui fut attaché que se penchent aujourd’hui Clematis et des chanteurs issus de la Cappella Mediterranea, dirigés par Leonardo García-Alarcón, dans une remarquable anthologie intitulée Romerico florido que vient de publier Ricercar.
Plus que la carrière couronnée de succès d’un étranger hors de son pays natal, c’est l’histoire d’une parfaite acculturation que nous conte le parcours de Matheo Romero. Né Matthieu Rosmarin dans une famille aisée de Liège vers 1575, il est envoyé à Madrid à la mort de son père pour y être employé en qualité de chantre au sein de la Capilla flamenca, alors dirigée par Philippe Rogier (c.1561-1596). Il y suit l’enseignement de ce maître durant huit ans avant de prendre à son tour la tête de cette institution, à l’avènement de Philippe III en 1598. À partir de cette date, celui qu’on ne désigne plus, depuis quatre ans, que par son nom espagnolisé ou par le surnom évocateur de Maestro Capitán, connaît une brillante ascension qui va faire de lui un des musiciens les plus en vue de tout le monde hispanique de son temps, comme en atteste la large diffusion de ses œuvres, de Naples jusqu’au Mexique. Ordonné prêtre en 1605, il devient le professeur de musique du futur Philippe IV dont l’amitié lui vaut, lors de l’accession au trône du souverain en 1621, le titre prestigieux de greffier de l’Ordre de la Toison d’Or. Ayant pris sa retraite en 1634, Romero meurt à Madrid en 1647.
Le choix des œuvres qui composent Romerico florido (« Le petit romarin fleuri »), pièce que l’on peut
considérer comme un autoportrait musical, soigné et souriant, de Romero, est particulièrement pertinent, car il permet d’explorer les multiples facettes de l’inspiration du compositeur, de
l’ivresse de la danse à des effluves nettement plus mélancoliques (¡Ay, qué me muero de zelos, « Ah ! Je meurs de jalousie »). Les textes y parlent majoritairement des
joies et des peines d’amour, sur un ton arcadien bien dans l’air du temps, parfois relevé d’un savoureux trait d’ironie (Coraçón, ¿dónde estuvistes?, « Mon cœur, où
étais-tu ? »). Comme on pouvait s’y attendre, les instrumentistes de l’ensemble Clematis (photo ci-dessous) et les chanteurs issus de la Cappella Mediterranea, qui nous avaient
régalés, au printemps dernier, d’un étincelant disque Frescobaldi, sont ici dans leur jardin et nous offrent un récital d’anthologie. Le mot qui me vient le plus spontanément à l’esprit est celui de
naturel, tant leur lecture, tout en étant parfaitement idiomatique, ne tombe jamais dans la surenchère, respectant toujours cette juste mesure qui distingue les véritables artistes des poseurs.
Il irradie de cet enregistrement une vitalité et une envie qui illuminent chaque morceau, réussissant tout à la fois à faire danser la nostalgie et à ne pas réduire la jubilation à une simple
ébullition superficielle. Indubitablement, ce florilège a du cœur et il le donne sans compter.
Assurément, ce Romerico florido aussi flamboyant que sensible est une des parutions discographiques les plus vivifiantes de cette fin d’année et je vous le conseille sans aucune hésitation. Il représente le couronnement d’une année faste et passionnante pour Clematis, la Cappella Mediterranea et Leonardo García-Alarcón, artistes attachants qui nous réservent d’autres belles surprises pour 2011, et constitue une preuve supplémentaire que la curiosité et la jeunesse du cœur sont toujours plus payantes que la routine dans laquelle s’enlisent aujourd’hui bien des ensembles baroques.
Clematis
Cappella Mediterranea (Mariana Flores & Capucine Keller, sopranos, Fabian Schofrin, contre-ténor, Fernando Guimarães,
ténor)
Leonardo García-Alarcón, orgue & direction
1 CD [durée totale : 61’04”] Ricercar RIC 308. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Romerico florido, Folía à 2
Mariana Flores
2. Caiase de un espino, Romance à 4
3. ¡Ay, qué me muero de zelos, Letrillo à 3
2e partie « Háganme, si muriere »
Mariana Flores & Capucine Keller
Illustrations complémentaires :
Diego Velázquez (Séville, 1599-Madrid, 1660), Portrait de Philippe IV, c.1656. Huile sur toile, 64,1 x 53,7 cm, Londres, National Gallery.
La photographie de l’ensemble Clematis est de Marie-Emmanuelle Brétel, dont le site Internet peut être consulté en suivant ce lien.