En 2003, le président tchèque Vaclav Klaus a écrit que «l’unification monétaire européenne est le cheval de Troie de l'harmonisation globale des règles économiques, politiques et des lois dans [l'UE]. Je suis convaincu que tout problème de la zone euro sera à l'avenir interprété comme une conséquence de l'absence d'harmonisation ... et conduira à une nouvelle vague d'harmonisation rampante ».
Il s'avère que M. Klaus avait vu juste. Suite à sa réunion de crise avec M. Sarkozy, Mme Merkel a déclaré à la presse que la coordination des politiques fiscales et des lois encadrant le marché du travail dans les 16 pays membres de la zone Euro porte « non seulement sur les questions monétaires, mais aussi sur la coopération politique, qui doit être approfondie ».
Pourtant, l'harmonisation fiscale et des réglementations du travail serait une catastrophe pour les pays ex-communistes de l'Est de l'UE, et nuirait encore plus aux finances publiques des pays riches occidentaux comme l'Allemagne.
Mme Merkel, qui a grandi en RDA, devrait être pleinement consciente de ces points. Quand l'Est et l'Ouest de l’Allemagne ont été réunifiés en 1990, un de leurs premiers gestes a été de revoir les réglementations du travail de l’Allemagne de l'Est, afin qu'elles correspondent à celles de l'Ouest. Cette harmonisation précipitée s'est révélée désastreuse pour l'économie et beaucoup moins productive pour l’Allemagne de l'Est, qui n'avait pas eu le temps de s'adapter aux exigences du marché libre. Une décennie après l'unification allemande et un milliard d’euros dépensé dans les transferts financiers plus tard, le chômage dans la partie orientale de l'Allemagne est toujours plus de deux fois plus élevé que dans l'ouest. Le montant énorme des transferts financiers de l'ouest vers l'est s’est avérée très impopulaire, et est encore très mal perçu par l'électeur de l'Allemagne de l’Ouest.
La politique ferait en sorte que ce scénario allemand économiquement dommageable se répéterait à l'échelle continentale s’il est tenté aujourd'hui. Tout d'abord, il est inconcevable que les travailleurs en Europe occidentale acceptent une réduction significative de leurs privilèges sociaux et adoptent les normes de travail en vigueur en Europe Centrale et en Europe de l'Est. Deuxièmement, les politiciens dans les pays ex-communistes de l'UE s'efforceront de tirer à court terme des avantages politiques en promettant à leur électorat d’adopter les normes de travail de l'Europe de l’Ouest - indépendamment des dommages portés à la croissance économique à long terme. Les réglementations du travail dans l'UE seraient donc presque certainement harmonisées « vers le haut » et non « vers le bas ». Considérant que la productivité dans les pays orientaux de l'UE reste inférieure à celle en Europe occidentale, le chômage chez les premiers monterait en flèche.
L'harmonisation fiscale aurait des conséquences aussi néfastes. Les pays ayant des taux d'impôts sur les sociétés plus élevés, comme l'Allemagne et la France, se sont depuis longtemps opposés à la concurrence «déloyale» des pays à faible taux d'impôts sur les sociétés - notamment dans les pays ex-communistes de l’Est et en Irlande. Avec la crise de la dette de la zone euro, Paris et Berlin y voient leur chance d'imposer une fiscalité plus élevée sur le reste de l'UE, soi-disant pour aider à atteindre une plus grande coordination politique et budgétaire, et partant, éviter la prochaine crise. Peu importe que des impôts plus élevés sur l'offre n'aient jamais aidé une économie à croître sans endettement ; ce que M. Sarkozy et Mme Merkel semblent oublier, c'est que leurs partenaires de l'Est ont besoin de taux d'impôt sur les sociétés plus faibles pour compenser la faiblesse de la productivité de leur main-d'œuvre.
Ramener les taux d'imposition polonais et slovaque aux niveaux de ceux de l’Europe de l'Ouest réduirait presque certainement l'investissement en Europe Centrale et Orientale, et se traduirait par un ralentissement économique net dans cette région. Cela accroitrait, à son tour, les transferts financiers de l'Europe occidentale, et en particulier en provenance de l'Allemagne.
Il est difficile de voir qui perdrait plus si M. Sarkozy et Mme Merkel arrivaient à leurs fins - ni les travailleurs de l'Est, ni les contribuables de l'ouest bénéficieraient d'une telle démarche. Les difficultés économiques et les récriminations politiques qui en découleraient pourraient porter un coup fatal à l'ensemble du projet européen. De quelle manière cela sauvera-t-il l’euro ?
Marian Tupy est analyste au Legatum Institute à Londres.