Il y a quelque temps, dans le métro parisien, entre les stations Nation et Voltaire, j’ai vu un jeune homme, dont les yeux semblaient de braise, assis, perché sur le dossier d’une banquette, silencieux, regard fixe, laissant tomber de manière intermittente un crachat comme s’il était trop plein de quelque chose. Assis, perché, Serge Ambert l’est aussi sur la barre de la tête du lit métallique d’une prison ou d’une clinique psychiatrique pour évoquer Nijinski (1889-1950), astre brûlé de la danse.
« Je ne suis pas malade, je suis un homme »… La chorégraphie montre en effet un homme qui s’habille peu à peu pour aller rencontrer les autres, qui le comprennent si mal. Serge Ambert, comme il l’avait déjà fait dans La fêlure du papillon, nous rend sensible cette douleur que le mouvement seul soulage par moments. Mais comment imaginer que les spasmes, qui soulèvent le corps gisant sur le lit, soulagent ? Et quel repos peut trouver celui dont les pieds ne sont pratiquement jamais posés en même temps sur le sol ? Le danseur est le mouvement qui trouve, dans un espace nu et brut, l’amplitude lui permettant d’ouvrir son être, de prendre son envol.
On dit que Nijinski savait suspendre le saut qu’il faisait. Une photo le montre ainsi, alors qu’il n’avait plus dansé depuis 20 ans, dans un sanatorium, à l’occasion d’une visite de Serge Lifar.
Serge Ambert approche à l’avant-scène, le lit de fer laissé loin derrière lui, et vient offrir au public ce bond en plein ciel, comme une exigence intérieure, une nécessité.
Dans une de ses acceptions, nécessité signifie aussi dénuement. Et celui qui nous est ici présenté est poignant.
J'ai vu ce solo au Centre National de la Danse à Pantin (93).