L'image est une photographie d'Izis (Israëlis Bidermanas) :
Homme aux bulles de savon, Petticoat Lane, Middlesex street, Whitechapel, 1950.
Ne me demandez surtout pas pourquoi j'aime cette photo, je serais obligé, pour répondre, de vous parler de moi.Vous seriez partagés, alors, entre celles et ceux qui ne me reconnaîtraient pas et ceux qui me reconnaîtraient trop bien. dans tous les cas, je serais grillé.
Mais ce qui me frappe ici, c'est la brièveté du bonheur offert par la bulle. On souffle, la bulle sort de nulle part, elle brille, irisée par le soleil de l'automne, elle s'élève lentement vers le ciel, puis disparaît ou éclate. Et le souffleur, même si c'est un dimanche après-midi, même s'il est accompagné d'une jolie fille ou d'une fille, jolie ou pas, quelle importance, même si la fête foraine est parcourue par des rythmes en accord avec la musique silencieuse des bulles, même s'il a cru un instant qu'une bulle particulièrement adaptée à son besoin profond d'être aimé, respecté, entouré, qu'une bulle sociable allait le tirer vers le haut, le souffleur, le promeneur, l'homme qui trompe son ennui, sa solitude et peut-être la sale gueule de son désespoir qui lui rit au nez en exhalant un souffle pourri, l'homme aux bulles sait bien, au fond de lui-même où il va.
Alors il rend à l'enfant son appareil à bulles, il baisse la tête vers ses chaussures souillées, marche sans but jusque chez lui. Et je préfère vous laisser imaginer la suite, bande de voyeurs.
Présentant l'expo Izis à la Mairie de Paris en 2009, son fils, lui-même photographe, présentait Izis comme "inconsolable, mais gai".
L'illustration de la photo d'Izis n'est pas musicale, mais poétique (ce qui ne serait pas incompatible) et s'en tient à la voix d'un Poète. Aucun poète ne s'accorde mieux au monde d'Izis que Jacques Prévert. Mais il me semblait un peu facile d'accompagner l'Homme qui fait des bulles par quelque chose de joli, de gentil, de consensuel, ce qu'on trouve aussi chez Prévert. Il est tellement consensuel, Prévert, pour ceux qui n'ont pas pris la peine de le lire ! Ce soir (oui, en fait, ici, c'est samedi soir) on se rappelle que Jacques Prévert est l'homme qui, non seulement sourit aux enfants (Le cancre, Pour faire le portrait d'un oiseau), mais aussi tend la main aux assassins (William Kramps, le tueur de bouchers, interprêté par Jean-Louis Barrault dans Drôle de drame, Pierre-François Lacenaire, interprété par Marcel Herrand dans Les Enfants du Paradis, François, ouvrier sableur du Jour se lève, interprété par Jean Gabin).
Voici Chanson dans le sang, de et par Jacques Prévert.
On ne peut pas être gentil tous les jours.