La presse n’a pas tari d’éloges sur l’exposition Bronzino au Palais Strozzi à Florence (qui a même eu droit à une des - rares, mais très pointues - critiques d’exposition sur ce site, davantage voué aux polémiques d’ordinaire) : Harry Bellet, Claire Colin et bien d’autres, tous plus savants que moi; vous apprendrez beaucoup plus en les lisant (aussi ici, en anglais, avec l’intéressante notion du “don’t-fuck-with-me portrait”). Je ne vais donc vous offrir ici que quelques coups d’oeil et coups de coeur, et même pas de coups de gueule, tant cette exposition est excellente (jusqu’au 23 janvier). Excepté ma déception en n’y trouvant pas le merveilleux tableau ci-dessus (’Allégorie avec Vénus et l’Amour) qui n’est pas venu de Londres : la beauté de ce corps, l’étrangeté érotique de la scène, et la mystérieuse jeune fille en vert à l’arrière-plan dont les mains sont inversées, font que, depuis que je l’ai découvert à 20 ans, je ne vais pas à la National Gallery sans faire un détour pour le revoir. Et j’ai longtemps cru que le surnom de Bronzino lui venait de cette coloration légèrement métallique du corps de la déesse, alors qu’en fait, il serait dû à la couleur des cheveux du peintre (?). Il y a, pour compenser cette absence, l’Allégorie du Bonheur et surtout ce tableau superbe, venu de Budapest, ‘Vénus, l’Amour et la Jalousie (ou l’Envie)’, où la main de Vénus, tenant, elle, une flèche, souligne d’un doigt tendu le sexe de Cupidon, la flèche visant bien sûr la pudeur intime de la déesse : l’échange de regards est fascinant, et on en oublie la vilaine jalouse (ou envieuse) au fond à gauche.
Ces deux derniers tableaux semblent poser la question de la comparaison (paragone) entre sculpture et peinture, alors omniprésente.
La meilleure réponse de Bronzino est ce double tableau du nain Morgante à la chasse, de face et de dos. Non seulement, semble dire Bronzino, la peinture peut aussi permettre des points de vue multiples, mais elle peut aussi inscrire le temps dans la représentation : le nain de face part à la chasse, celui de dos en revient (et c’est bien plus puissant que la pure virtuosité technique du David et Goliath de Volterra dans la Grande Galerie du Louvre). Montrés, paraît-il pour la première fois ensemble depuis le XVIIIème siècle alors qu’ils sont tous deux aux Offices, ces tableaux, récemment restaurés pour enlever les pampres cache-sexe du nain (il n’y a plus qu’un monstrueux insecte volant à l’endroit stratégique) sont une des révélations de cette exposition. Pour continuer avec l’endroit stratégique, voici Guidobaldo della Rovere, prince héritier d’Urbino et son impressionnante ‘braghetta imbottita’ rouge jaillissant de sous l’armure, monstrueux indice de sa future postérité, entre museau du chien et casque où on peut malaisément déchiffrer, ΩΛ ΕΣΓΑΛΔΗΟ ΩΣ ΑΙΔΟΝΤΟ ΒΟΥΛHΜΑ (si quelqu’un a la traduction…). Ce prince à la virilité prometteuse fut le commanditaire de la Vénus d’Urbino.Parmi les nombreux portraits peints par Bronzino, un couple attire particulièrement l’attention, Bartolomeo et Lucrezia Panciatichi : né à Lyon, héritier d’une grande famille de marchands et d’intellectuels, Batolomeo étudia en Sorbonne.
De retour à Florence, il fut accusé de luthérianisme pour ses vues religieuses modernistes opposées à la Contre-Réforme (Bronzino peindra alors pour eux cette Crucifixion du Musée de Nice, désincarnée, quasi abstraite). Cet homme froid et sec, un livre à la main et son épouse aux yeux lumineux et glaciaux, tout aussi tendue, dont la sensualité ne transparaît que dans le bout de ses doigts (”Splendid as she is, one doubts if she was good“), forment un des ensembles les plus impressionnants de l’exposition, et sont encore aujourd’hui présents dans mes rêves. Quittant Bronzino, mais continuant dans l’art classique à Florence, l’exposition sur le Caravage et les caravesques (jusqu’au 9 janvier) est en deux volets, et je n’ai vu que celui des Offices, décevant, avec un seul Caravage, certes superbe, Méduse sur un bouclier, mais ensuite une longue déclinaison de peintres caravesques, dont beaucoup de seconde zone; j’espère voir l’autre volet au Palais Pitti début janvier. Sinon, je ne vous parlerai pas des Offices, seulement de cet étonnant tableau que le cartel donne comme étant de Fra Angelico, alors qu’il est plus fréquemment attribué à Gherardo Starnina. Cette sombre Thébaïde où les anachorètes vaquent à leurs occupations profanes ou sacrées, ne se rassemblant que pour la prière dominicale, m’a évoqué la culture idiorythmique chère à Roland Barthes (Comment Vivre Ensemble).