À l’entrée de l’exposition, quatre médaillons des évangélistes provenant de l’église Santa Felicità, que, chose rare, on peut voir de près, dont l’attribution se discute entre Bronzino et son maître Pontormo. Celui-ci, Saint Mathieu, est le plus saisissant, torse nu penché en avant, jaillissant du tondo, semblant négligemment écraser un boustrophédon au passage. Ce corps adolescent n’est pas dénué d’une certaine concupiscence, à côté de Luc et Marc, hommes dans la force de l’âge, et de Jean en vieillard. Son oeil droit,
![Bronzino St Jean Baptiste bronzino_saint_jean1.1292760822.jpg](//media.paperblog.fr/i/396/3965355/bronzino-florence-L-QustNb.jpeg)
plus arrondi que le gauche, a une fixité presque dérangeante, ainsi vu de près. On n’est pas moins étonné de voir, plus loin, cet autre adolescent dénudé, un Saint Jean Baptiste dont la torsion sculpturale du corps est à la fois musculaire et sensuelle, et qui est, paraît-il, un portrait de Jean II de Médicis, fils de Côme 1er, futur cardinal, montré ailleurs en bébé souriant à fossettes étranglant allègrement un petit oiseau. Le Saint Sébastien de la collection Thyssen, au visage étonnamment doux, est de la même veine.
Ces deux derniers tableaux semblent poser la question de la comparaison (paragone) entre sculpture et peinture, alors omniprésente.
La meilleure réponse de Bronzino est ce double tableau du nain Morgante à la chasse, de face et de dos. Non seulement, semble dire Bronzino, la peinture peut aussi permettre des points de vue multiples, mais elle peut aussi inscrire le temps dans la représentation : le nain de face part à la chasse, celui de dos en revient (et c’est bien plus puissant que la pure virtuosité technique du David et Goliath de Volterra dans la Grande Galerie du Louvre). Montrés, paraît-il pour la première fois ensemble depuis le XVIIIème siècle alors qu’ils sont tous deux aux Offices, ces tableaux, récemment restaurés pour enlever les pampres cache-sexe du nain (il n’y a plus qu’un monstrueux insecte volant à l’endroit stratégique) sont une des révélations de cette exposition.
![Bronzino Guidobaldo della Rovere agnolobronzino_guidobaldodellarovere1.1292760677.jpg](//media.paperblog.fr/i/396/3965355/bronzino-florence-L-BQipaD.jpeg)
Pour continuer avec l’endroit stratégique, voici Guidobaldo della Rovere, prince héritier d’Urbino et son impressionnante ‘braghetta imbottita’ rouge jaillissant de sous l’armure, monstrueux indice de sa future postérité, entre museau du chien et casque où on peut malaisément déchiffrer,
ΩΛ ΕΣΓΑΛΔΗΟ ΩΣ ΑΙΔΟΝΤΟ ΒΟΥΛHΜΑ (si quelqu’un a la traduction…). Ce prince à la virilité prometteuse fut le commanditaire de la Vénus d’Urbino.
Parmi les nombreux portraits peints par Bronzino, un couple attire particulièrement l’attention, Bartolomeo et Lucrezia Panciatichi : né à Lyon, héritier d’une grande famille de marchands et d’intellectuels, Batolomeo étudia en Sorbonne.
De retour à Florence, il fut accusé de luthérianisme pour ses vues religieuses modernistes opposées à la Contre-Réforme (Bronzino peindra alors pour eux cette Crucifixion du Musée de Nice, désincarnée, quasi abstraite). Cet homme froid et sec, un livre à la main et son épouse aux yeux lumineux et glaciaux, tout aussi tendue, dont la sensualité ne transparaît que dans le bout de ses doigts (”Splendid as she is, one doubts if she was good“), forment un des ensembles les plus impressionnants de l’exposition, et sont encore aujourd’hui présents dans mes rêves.
Quittant Bronzino, mais continuant dans l’art classique à Florence, l’exposition sur le
Caravage et les caravesques (jusqu’au 9 janvier) est en deux volets, et je n’ai vu que celui des Offices, décevant, avec un seul Caravage, certes superbe, Méduse sur un bouclier, mais ensuite une longue déclinaison de peintres caravesques, dont beaucoup de seconde zone; j’espère voir l’autre volet au Palais Pitti début janvier. Sinon, je ne vous parlerai pas des Offices, seulement de cet étonnant tableau que le cartel donne comme étant de Fra Angelico, alors qu’il est plus fréquemment attribué à
Gherardo Starnina.
Cette sombre Thébaïde où les anachorètes vaquent à leurs occupations profanes ou sacrées, ne se rassemblant que pour la prière dominicale, m’a évoqué la culture idiorythmique chère à Roland Barthes (Comment Vivre Ensemble).