La transaction a quelque chose de choquant : Avic International Holding Corp., filiale du groupe chinois du męme nom, va racheter le motoriste américain Continental Motors ŕ Teledyne Technologies, pour 186 millions de dollars. Ainsi, sur fond de crise de l’aviation privée, ce sont des bijoux de famille américains qui sont cédés ŕ vil prix, pour des raisons qu’on devine facilement. La rentabilité n’est sans doute plus au rendez-vous, les avionneurs faisant appel aux célčbres moteurs de 100 ŕ 350 ch produits dans l’Alabama étant au plus mal.
Dans le męme temps, la Ťnouvelleť Chine brűle les étapes et installe une industrie aéronautique moderne, qui entend ratisser trčs large et brűler les étapes. Ainsi, cette vaste nation de 9,5 millions de kilomčtres carrés et 1,3 milliard d’habitants, forte d’une croissance économique ŕ deux chiffres, ne se contente pas de développer des avions commerciaux au demeurant trčs occidentalisés, ARJ 21 et C919. Elle croit aussi ŕ l’essor d’une aviation privée, de loisirs et de voyages, secteur pour l’instant embryonnaire (moins d’un millier d’appareils). Les estimations, trčs imprécises, disent qu’ŕ terme, ce parc comptera entre 100.000 et 600.000 avions. Peu importe que la fourchette soit large : les perspectives sont pour le moins prometteuses.
Au męme moment, aux Etats-Unis, Teledyne et les membres de la General Aviation Manufacturers Association constatent que l’avenir reste sombre, leurs livraisons étant tombées cette année ŕ un millier d’avions ŕ peine. Le parc aérien américain reste le plus important du monde, avec 230.000 appareils, mais il vieillit, ne se renouvelle plus. Dans ces conditions, la gestion Ťŕ l’américaineť a repris ses droits, dans toute sa brutalité : autant vendre, ŕ partir du moment oů un acheteur se présente. Il est chinois ? Peu importe !
On a du mal ŕ croire que Continental, męme victime de la basse conjoncture, soit valorisé ŕ ce niveau dérisoire. De plus, ce qui ne risque évidemment pas d’émouvoir les analystes financiers, c’est un grand nom de l’aviation américaine qui va ainsi passer sous contrôle chinois. Son premier moteur aéronautique est apparu il y aura bientôt 80 ans et plusieurs générations d’appareils légers ont connu une belle carričre grâce ŕ une inventivité sans cesse renouvelée du motoriste. Continental, outre une gamme bien établie, travaille actuellement ŕ un moteur Diesel de la catégorie des 250 ch, utilisant du Jet-A, une technologie qui arrivera en Chine en 2011, pręte ŕ l’emploi.
En de telles circonstances, le discours officiel est toujours le męme. Les deux parties, acheteur et vendeur, se félicitent mutuellement, évoquent inévitablement une transaction Ťgagnant-gagnantť et parlent de lendemains qui chantent. Par la voix de Wu Guangquan, directeur général d’Avic International, les Chinois, aussitôt l’accord signé, y sont allés d’une déclaration rassurante. L’équipe de direction de Continental restera aux commandes, le site de Mobile, en Alabama, sera maintenu, etc. Rhett Ross, patron de Continental, a évidemment pris ces promesses pour argent comptant et s’est empressé d’ajouter que la société est assurée de voguer vers un avenir brillant.
A un niveau évidemment modeste par rapport, par exemple, ŕ la production en Chine de turbines Arriel 2C de Turbomeca, du partenariat avec Eurocopter ou encore ŕ la chaîne d’assemblage d’Airbus A320, le transfert de technologie apparaît ici modeste et sans grandes conséquences. A la nuance prčs que Teledyne crée un précédent encombrant, sans autre justification qu’une politique ŕ trčs court terme qui sied mal au domaine de l’aéronautique.
S’il suffit aux Chinois de se présenter, une valise de yuans ŕ la main, ŕ la porte des cibles de leur choix, les raisons de grande inquiétude ne feront que croître et embellir. Tôt ou tard, les moteurs Continental risquent forts d’ętre estampillés ŤMade in Chinať, l’atelier du monde passant ainsi ŕ la vitesse supérieure. A moins, bien sűr, que les petits moteurs, destinés ŕ la propulsion d’avions légers, relčvent d’un mode mineur. Aprčs tout, nous sommes entrés de plain-pied dans une époque formidable obsédée par la Ťconsolidationť en męme temps que la satisfaction inconditionnelle, absolue, des actionnaires. Ces derniers ignorent la patience et ne supportent plus de traverser une zone de turbulences conjoncturelles sans évoquer une solution de renoncement. En clair, il n’est plus interdit de vendre son âme et d’aussi recueillir les félicitations du jury. Dur, dur !
Pierre Sparaco - AeroMorning