Mike Demon vend des assurances agricoles depuis plus de dix ans. Son territoire s’étend de la Californie à l’Arizona en passant par le désert du Nevada. Le jour où sa voiture le lâche à quelques kilomètres de Las Vegas, il ne peut que maudire le sort. Sa femme et son fils l’attendent à Los Angeles et il risque de perdre un gros client si les réparations ne sont pas faites rapidement. En plus il déteste Vegas. Cette ville totalement artificielle est pour lui le comble de l’horreur. Cloué sur place pour plusieurs jours, Mike erre dans les rues écrasées par la chaleur ou dans les salles de casino réfrigérées par des climatisations trop puissantes. Peu à peu, l’ambiance folle de la ville l’irradie. Les lumières, les couleurs, le bruit obsédant des pièces que l’on glisse dans les machines à sous… Perdant toute notion du temps dans cette cité qui ne dort jamais, Mike commence à jouer. L’engrenage se referme alors et la décadence absolue d’un homme à priori bien sous tous rapports se met en branle…
Le mécanisme de basculement vers la folie et l’enfer du jeu est décrit avec une implacable précision. José Luis Munoz prend son temps car il sait qu’il va conduire son personnage vers une chute inéluctable. Mike Demon est condamné. Il ne peut échapper à l’appât du gain et à la luxure. Le lecteur est lui aussi pris au piège. Devant ses yeux se déroule un drame difficilement supportable. Un mince espoir subsiste pourtant et l’on se dit par moment que Mike va s’en sortir, qu’il va arrêter les frais à temps, fuir cette ville et rentrer bien sagement chez lui. Mais l’évidence nous rattrape. Las Vegas a définitivement refermé ses griffes sur sa proie, le poussant à commettre l’irréparable.
La ville. Voila l’autre personnage principal du roman. L’auteur décrit magnifiquement sa grandeur, sa futilité, la faune qui arpente ses hôtels et ses casinos. Une vision très très sombre de cette Babylone moderne dans laquelle il n’existe aucune échappatoire. Je n’avais rien lu de tel au sujet de cette ville depuis l’éblouissant Leaving Las Vegas de John O’Brien.
Un excellent roman, hypnotisant et fort, qui décrit à la perfection la facilité avec laquelle on peut sombrer lorsque l’on perd ses repères. Seule la fin est quelque peu décevante. Les trente-cinq dernières pages ne s’imposaient pas, le texte pouvant très bien se terminer au bas de la page 246. Ceux qui ont lu le roman savent de quoi je veux parler mais je ne peux pas en dire plus au risque d’en dire trop. En tout cas, voila une nouvelle jolie pépite dans la collection actes noirs des éditions Actes Sud. Et puis ça change de Millenium.
L’info en plus : Babylone Vegas est le second roman de José Luis Munoz traduit en français. Les éditions Actes Sud ont publié il y a deux ans La dernière enquête de l'inspecteur Rodriguez Pachon, l’histoire, à La Havane, d’un inspecteur véreux qui, avec son collègue Vladimir, est chargé d'enquêter sur le meurtre d'une prostituée décapitée. On retrouve déjà dans ce roman la décadence d'un individu sur fond de ville ambivalente, une thématique qui semble passionner l’auteur.
Babylone Vegas, de José Luis Munoz, Actes Sud, 2010. 280 pages. 19 euros.