Enlever son parfum à une femme, c'est lui enlever un peu de sa vie. Dans les quelques gouttes qu'elle distille solennellement sur sa peau, transpire une armée de souvenirs à vifs. Chaque petite bulle parfumée enrobe une pensée de son parcours. Un moment fugace, une longue étreinte, une promesse murmurée, un visage en filigrane, une soirée de douces larmes, un éclat de rire dans le cou, une caresse sur la main, un coeur qui bat beaucoup trop vite. Année après année, sa mémoire s'organise autour de son parfum. De goutte de souvenir en goutte de souvenir, se sont parfois des dizaines d'années qui défilent par éclairs de senteur lors du moment quasi sacré de communion avec son parfum. Les yeux fermés, l'odorat en alerte, les gouttes qui glissent dans le cou, et la mémoire qui s'illumine. Tout ça en quelques secondes. Hier soir, j'ai terminé mon dernier voyage avec mon parfum depuis 16 ans. Jean Louis Scherrer. Depuis la fermeture de la Maison Scherrer fin 2009, il devenait de plus en plus dur à trouver. Aujourd'hui c'est quasiment impossible. Pour moi, il ne reste plus qu'un flacon vide, qui a emporté avec lui, sa dernière goutte d'ivresse. Mythique.