L'autre jour, j'ai été écouté François Géré prononcer quelques mots, dans un séminaire de l'IRSEM, sur l'inflation du mot guerre. Il est arrivé en retard, n'avait pas préparé grand chose, et a donc enfilé quelques considérations de façon décousue et, il faut bien le dire, décevante.
C'est bien dommage car le sujet était en or et méritait bien mieux que ce massacre.
En effet, autant la guerre se retire de nos sociétés, autant le mot qui la désigne est utilisé à toutes les sauces : guerre du poulet, guerre de la banane, guerre des monnaies, guerre contre la terreur.
Géré date cette inflation du 11 septembre et de l'espèce de truc bizarre et mal fichu intellectuellement qu'est la GWOT. Je pense que la tendance est plus ancienne.
Tout d'abord, elle résulte de la période de paix que nous avons connue depuis la 2GM, même si les guerres de décolonisation ont pu donner l'impression de la permanence de la chose. La notion de guerre froide et le gel nucléaire ont virtualisé la guerre, qui n'est plus apparue que comme "improbable", pour reprendre le mot d'Aron.
Elle résulte ensuite de la communication à tout crin (la mondialisation médiatique) qui fait que les mots perdent leur sens et dérivent dans des poncifs médiatiques sans saveur. Mais parler de mondialisation, c'est aussitôt remarquer que la "guerre" s'est, le plus souvent, transféré dans un champ économique. On parle désormais couramment de "guerre économique", sujet sur lequel il faudra que nous revenions un jour (je vous tiendrais au courant, ne vous inquiétez pas).
Cette invasion sémantique dans le domaine civil est allée de pair avec de profondes incertitudes dans le champ traditionnel, militaire. A la fin des années 1990, on commençait déjà à s'interroger sur la guerre asymétrique ou sur la guerre réseaucentrée, pour chercher les nouvelles formes de la guerre. Puis vint la guerre contre le terrorisme, et la guerre irrégulière, et la cyberguerre.
Qu'est-ce à dire ? que nous nous trouvons dans une incertitude stratégique face au contournement, à l'œuvre, de l'interdit nucléaire. La guerre conventionnelle a été mise sous le boisseau. Pourtant, les conflictualités demeurent aujourd'hui présentes. Mais comme on a du mal à les appréhender, à les "relativiser" (ou, plus proprement, à les hiérarchiser), on les qualifie de "guerre". Mais la guerre doit-elle être systématiquement sanctionnée par des morts, des pertes et des destructions?
J'aurais enfin espéré quelques considérations ou allusions au rapport entre guerre et politique, dans une perspective Schmittienne. L'inflation du mot guerre signifie-t-elle une déflation du politique ?
O. Kempf