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Toucher au but ?

Publié le 19 décembre 2010 par Perce-Neige
Toucher au but ?Car, au temps des erreurs monumentales, quand il avait été plus ou moins question de vendre la ferme et même, pour faire bonne mesure, les deux ou trois bâtiments attenants, plus ou moins question de négocier sévère, ou plutôt, d’ailleurs, de brader à tout va, de dilapider l’ensemble du domaine, un peu avant que les notaires ne s’en mêlent, et que des liasses de documents administratifs ne finissent par emplir de larmes les yeux éplorés, quand il s’était brusquement agi de brûler les étapes et de bousculer les habitudes, et qu’avec Maud plusieurs voyages express, là bas, avaient été nécessaires (lumières éblouies sur l’autoroute, où personne aux péages ne rend la monnaie), quand il s’était agi, en compagnie du métreur et de son assistante au regard perdu, d’arpenter les trois hectares quatre vingt du terrain et de pousser, silencieux, jusqu’à l’ancien potager d’où l’on aperçoit la dernière ligne de collines avant la mer, et jusqu’aux arbres paresseux qui prospèrent gentiment sur la berge marécageuse de la Sienne, en contrebas, et donc quand il avait été simplement question de tout bazarder, tout, Jérôme Verdier, proprement épuisé à force d’insomnies, oui, Jérôme Verdier, donc, avait, soudain, définitivement admis qu’il ne pourrait, désormais, jamais tout à fait se défaire du sentiment d’avoir d’abord été, jusqu’alors, le jouet d’une immense imposture. Car ces funestes transactions, orchestrées par un lointain cousin qui se targuait, au vu de quelques mauvais textes publiés dans de mauvaises revues, de pouvoir, un jour, devenir l’écrivain qu’il croyait devoir singer, supposaient, implicitement, que la grange et l’atelier du grand père, le verger assiégé par les ronces, colonisé d’orties et qu’ils avaient, autrefois, tous peu ou prou, considéré, si n’est comme le monde, au moins comme un de ses territoires des plus singuliers, puissent, en réalité, n’avoir toujours été rien d’autre qu’un agencement, très ordinaire au fond, de terres maraichères ou agricoles, par parenthèse uniquement accessibles par un chemin communal, et dont la valeur marchande s’avérait susceptible de fondre comme neige au soleil pour peu que le cadastre les localisent en lisière de la zone inondable ou bien, a contrario, tout autant, susceptible d’atteindre des sommets extravagants, deux jours plus tard, comme par hasard, pour peu qu’un promoteur quelconque argue dans son argumentaire de la proximité relative des plages et du tracé opportunément sinueux à hauteur de l’ancienne écurie, de ce sentier littéral dont diverses associations à vocation soi-disant écologique entendaient bien préserver la subtile harmonie. Or, précisément, cet absurde sentiment d’imposture que Thérèse, infiniment plus matérialiste que lui sans doute, et plus à l’écoute d’une certaine réalité, au fond, n’avait, probablement, jamais vraiment partagé, - Jérôme, j’t’en prie, prends exemple sur ta sœur ! ‘coutes-moi, bon sang ! – ce sentiment, donc, n’était que l’envers, naturellement, - il s’en était, hélas, rendu compte beaucoup trop tard - de l’immense déception qu’il avait éprouvé en réalisant qu’il n’avait, peut-être, et même sûrement, jamais rien compris à rien, ou du moins jamais vraiment rien voulu apprendre de sérieux, restant éternellement à la périphérie des apparences, acceptant juste de paraphraser, et combien maladroitement, l’élégance des hirondelles, la plainte esseulée des arbres en bordure de la départementale. Et c’était, sans nul doute, l’obscur remord de n’avoir, en définitive, été, vraiment, pas à la hauteur de grand chose qui l’avait soudainement conduit, un soir de novembre plus mélancolique encore que les autres, à racheter le tout à prix d’or, acceptant volontiers, pour parvenir à ses fins, de céder, en contrepartie, la presque totalité de sa part d’héritage et de ses droits passés, présents ou à venir, - je m’en moque éperdument, vous pensez - sur la Clinique des Quatre Fours, le moulin, l’appartement de la rue des Fossés, et Dieu sait quoi encore... Car, durant tout l’hiver, cette année-là, Jérôme Verdier, retrouvant peu à peu ses esprits, le goût d’entreprendre, le plaisir des petits matins dans la somnolence brumeuse de l’appartement de l’avenue Daumesnil, Jérôme Verdier avait semblé penser qu’il n’était, désormais, plus très loin de toucher au but, sans d’ailleurs vraiment savoir en quoi toucher au but pouvait bien consister. Allons bon !

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