Le sang des gestes, de Bernard Aspe

Publié le 19 décembre 2010 par Onarretetout

Une revue à publication annuelle est actuellement ma lecture quasi quotidienne. Je vais donc y revenir plusieurs fois ces jours prochains.

Il s’agit de la revue Grumeaux, publiée par les Editions NOUS. Son numéro Deux traite de l’Impossible. On y trouve des textes d’oulipiens (Jacques Jouet, Frédéric Forte), un CD, des dessins, des poèmes, une pièce de théâtre, des textes philosophiques, et un extrait de roman inédit. Ce sont ces derniers textes dont il sera question prochainement dans ce blog.

Et, pour commencer, Bernard Aspe propose un texte intitulé « Le sang des gestes », une citation de René Char. Je vous en donne ici un extrait :

Ce n’est que pour quelques physiciens et pour les contemplateurs de l’Idée que le temps « n’est » rien, et que peut dès lors être promise l’immortalité – même si ce n’est que l’immortalité un peu grise des œuvres de la culture, ou celle de l’histoire des découvertes de la Science. Les autres s’accorderont volontiers sur le constat inverse : le temps « est » bien quelque chose, et ce quelque chose s’éprouve plus que jamais comme pression, précipitation, urgence. Mais, curieusement, ils accompagneront ce constat d’un autre énoncé, d’un autre constat tout aussi imparable : « je n’ai pas le temps. » La réussite du capital ne tient pas à l’atomisation des individus, mais à ceci qu’il réussit chaque jour, pour chacun, à transformer « le temps presse » en « je n’ai pas le temps. » Si les sujets, aujourd'hui, ne sont pas dans la lutte, ce n'est pas que cette dernière ne serait pas à leurs yeux justifiée, ce n'est même pas d'abord parce qu'ils auraient peur de ses conséquences, c'est avant tout parce qu'ils n'ont pas le temps de la mener.

(…)

Il y a un sentiment ou une impression d'imminence, qui correspond à l'état autour duquel s'organise la forme même de la vie heureuse.

L'homme heureux dit : « plus tard c'est maintenant. » C'est maintenant le temps du danger, maintenant le temps du bonheur. C'est maintenant qu'il y a un acte, donc un risque (...)

Le temps presse, nous sommes de ce temps.

Qu'on me permette l'observation suivante :  chacun comprend bien la différence de posture entre « je n’ai pas le temps » et « le temps presse », mais Bernard Aspe ajoute une autre nuance que je veux ici souligner. La dernière phrase de son texte dit : « Le temps presse, nous sommes de ce temps ». Ainsi il passe d'un rapport d'avoir à celui d'être, d'avoir (ou non) le temps à être de ce temps.