Les chercheurs de l’Université de Tel Aviv en cinématographie se lancent dans le cinéma interactif, qui offrira au spectateur la possibilité d’intervenir sur un film et d’en modifier l’intrigue.
Si le principe du film à scénarios multiples existait déjà au cinéma, jusque là, il ne faisait pas intervenir le spectateur.
Qui n’a jamais rêvé de changer le cours d’un film ou de voir à l’écran une autre fin que celle que le réalisateur choisit ? La frustration ou la déception que certains longs métrages nous inspirent -quant au déroulé de leurs intrigues- pourraient bien se voir anéanties grâce à la technique de Ben Shaul développée par les chercheurs de l’Université de Tel Aviv.
Cette innovation technologique permettrait au spectateur de décider du déroulé du film tout en le regardant, une interaction qui donnerait la possibilité, par exemple, de transformer une fin heureuse en une fin tragique.
« Ce procédé peut changer la façon dont les gens consomment les médias et la publicité », explique le professeur Ben Shaul, diplômé d’études cinématographiques à l’Université de New York, dans une interview au Journal Sentinel.
La fin dépendra du spectateur
Pour illustrer ce procédé, Ben Shaul et ses collaborateurs ont réalisé un film pilote interactif : Turbulence. Il raconte les retrouvailles de trois amis israëliens, Edi, Sol et Rona, séparés pendant vingt ans après une manifestation contre la guerre du Liban. Un heureux hasard les fera se rencontrer dans Manhattan, ravivant la flamme entre deux des personnages.
Comment l’histoire finit-elle ? C’est au spectateur d’en décider. Le public peut en effet changer le cours de l’histoire grâce à une lueur irisée apparaissant à l’écran à des moments clés de l’intrigue et sur laquelle on peut appuyer. La durée du film peut aller de 83 minutes à deux heures selon les interventions des spectateurs. Ceux-ci peuvent aussi revenir en arrière pour voir ce qui se serait passé s’ils avaient fait un choix différent.
Projeté en septembre au festival du film et de la vidéo de Berkeley en Californie, Turbulence a remporté un prix pour son innovation technologique. Le film peut se regarder sur un écran normal ou un écran tactile comme celui de l’iPad.
Films à choix multiples
Le procédé du scénario multiple a déjà été utilisé au cinéma, mais sans interactivité. En 1997, Pile et face de Peter Howitt montrait au spectateur deux « mondes possibles ». Le film raconte l’histoire d’Helen qui, après s’être fait licencier, prend le métro pour rentrer chez elle. Mais la jeune femme se fait agresser, rate le métro in extremis et se retrouve aux urgences. Et si Helen étais montée dans la rame ? Le réalisateur alterne les deux scénarios, permettant au spectateur de suivre les deux destins en parallèle.
Le film Cours Lola cours, lui, présente une même histoire traitée de trois manières différentes. Les trois versions se succèdent, précédées de la mention « Et si… ». Dans Mr Nobody de Jaco Van Dormael, c’est un enfant se retrouve face à un dilemme : monter dans un train avec sa mère ou rester vivre avec son père ? Partant de là, ce ne sont pas deux mais une multitide de vies qui s’offrent à lui.
Pour le professeur de l’Université de Tel Aviv, ces films servent de référence à Turbulence car « ils donnent aux gens le suspens et l’excitation de résultats multiples ».
Dans ses Essais, Montaigne écrit : « le spectateur est celui qui assiste à une action, par opposition à celui qui la fait. » Avec l’arrivée de ce nouveau genre de cinéma, le spectateur passif s’élève au rang de participant actif, personnage privilégié situé au centre d’un dispositif. Grâce à cette innovation technologique, Ben Shaul espère ouvrir la voie à un nouveau paradigme de production cinématographique.
Anne-Sophie Balbir
pour les www.lesinrocks.com