Magazine Moyen Orient
Le compte à rebours a commencé. L'ordre de mobilisation trône toujours aimanté à la porte d'entrée, préservé du désordre des préparatifs alors que mon sac gît explosé sur les tomettes de l'appartement entre les piles de rechange pour la lampe torche, une écharpe vert khaki et une pile de tee-shirt blancs. Dans la voiture vendredi, les copains se moquaient de mon manque de stress apparent et s'acharnaient à détailler les pires heures de leurs périodes d'entrainement militaire. Ces derniers jours, chacun semble s'obliger à ajouter son grain de sel avant la question inévitable:
- "Bon, comment tu te sens, alors?"
- "Bien. Enfin je crois."
L'entrée à l'armée est un rite de passage. Tous participent, transmettent un peu de leur surplus d'équipement, se laissent aller à quelques conseils de vieux guerriers, s'inquiètent de mon sort. La tension s'insinue, s'installe avec les heures qui passent. Et pourtant...
Je suis en total accord avec moi-même. "C'est un luxe qu'ont peu de gens", me dit Tzouki dans la soirée. Chaque chose a son prix.
J'ai grandi protégée des déchirements de l'Orient agité, dans l'immense espoir du processus de paix. J'ai aussi grandi dans un monde où les bus explosent à Jérusalem et les synagogues brulent parfois à Paris. J'ai grandi devant les images des maisons bombardées à Gaza, des enfants embrigadés par le Hamas, des mères de terroristes triomphantes et des chars de Tsahal au Sud Liban. Aujourd'hui, les missiles tombent sur Sderot, demain peut-être sur Tel Aviv. Je ne m'imaginais pas un jour faire partie du tableau, mais notre liberté n'est pas gratuite.
Aussi éculé qu'il paraisse aux oreilles européennes, le concept d'Etat-Nation n'est pas moribond. Plus que jamais s'impose la nécessité de défendre la légitimité de l'existence d'Israël en tant qu'Etat Juif et démocratique. La constitution du peuple juif en nation incarne non seulement son seul espoir de survie, mais surtout son renouveau. Et, plus que jamais peut-être, apparaît l'étendue des sacrifices - aussi difficiles que nécessaires - pour parvenir à la paix. Notre génération fait face à ces défis, cette responsabilité est notre.
Comme tous les jeunes israéliens de mon âge avant moi, je deviendrais soldate lundi matin. Ce blog continuera à fonctionner, pour un temps au rythme des permissions. Bien peu comprendront vraiment, la plupart des copains à l'étranger se demandent d'ailleurs toujours pourquoi. "In the end, it's not the years in your life that count. It's the life in your years.¹" disait Abraham Lincoln. Je compte sur une longue vie bien remplie. En attendant, certaines choses méritent qu'on se batte en leur nom.
1. "Au final, ce n'est pas le nombre d'année d'une vie qui compte, mais bien la vie menée durant ces années."