Non lieu à statuer sur une QPC portant sur la conformité d’une disposition législative découlant d’une disposition inconditionnelle et précise d’une directive
par Serge Slama
Balayant du revers de la main tout examen au fond, le Conseil constitutionnel se contente d’appliquer sa jurisprudence faisant du contrôle de constitutionnalité a priori (Cons. constit. n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse) ou a posteriori (Cons. constit. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, « Jeu de hasard et jeux d’argent en ligne » - ADL du 18 mai 2010), un système presque totalement fermé. Ainsi, après récité ses gammes sur « l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (cf. CC 27 juillet 2006 n° 2006-540 DC, « DADVSI », cons. 18 et 19), il rappelle qu’il « n’est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de l’Union européenne » (Cons. constit. n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 Alain Cachard : ADL du 3 août 2010 (2)). Et, comme pour le contrôle a priori en 1975, il rappelle aussi que la transmission d’une QPC ne prive pas les cours suprêmes de leur faculté de saisir, ou en l’espèce de ne pas saisir, la CJUE en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (CJUE, 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, MM Melki et Abdeli, ADL du 22 juin 2010 ; Cass., QPC, 29 juin 2010, Melki et Abdeli, n°12 132 et n°12133 – ADL du 2 juillet 2010 et CE 14 mai 2010, M. Senad Rujovic, n° 312305 – ADL du 18 mai 2010). Or, on sait que le Conseil d’État a estimé, dans sa décision de renvoi, qu’il n’y avait pas lieu à poser une question préjudicielle compte tenu de l’absence de « difficulté sérieuse » sur la conformité de l’article 17 de la directive 2000/83 du 29 avril 2004, au droit de l’Union, en particulier à l’article 2 de la Charte des droits fondamentaux abolissant la peine de mort. Pourtant, la Cour de Luxembourg venait juste de rendre une décision, sur une question préjudicielle d’une juridiction allemande, dans un domaine assez proche et à propos de la même directive (CJUE, 9 novembre 2010, C-57/09 et C-101/09, Allemagne / B et Allemagne / D. - ADL du 28 novembre 2010). Mais le juge administratif a déjà jugé que l’invocation d’une violation « par ricochet » de l’article 3 de la CEDH à l’encontre des dispositions du CESEDA critiquées étaient inopérante car la décision sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire n’a par elle-même ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France, ni de fixer le pays de destination où il devrait le cas échéant être reconduit (CE, 16 octobre 2009, Mme Habyarimana, n°311793 - ADL du 19 octobre 2009).
L’apport de la décision s’arrête là. La décision de non-lieu se contente de « tradui[re] la spécificité du contentieux constitutionnel » dans ce domaine. Et pourtant, le commentaire aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel (NCCC n° 30), qui bien souvent, trop souvent, a un caractère prospectif - voire prédictif - et non analytique ou restitutif, va plus loin. Il envisage en effet la finalisation de « ce « dialogue des juges » noué entre la Cour de Luxembourg et le Conseil constitutionnel » (sic). Comment ? Et bien en envisageant l’hypothèse de la « double question » c’est-à-dire le cas où le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation auraient, en même temps, saisi à titre préjudiciel la Cour de Luxembourg et renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel (ce que n’avait justement pas fait la Cour de cassation dans l’affaire Melki et Abdeli - Cass., QPC 16 avr. 2010, MM. Melki et Abdeli, n° 10-40002 - ADL du 23 avril 2010) . Or, selon cette doctrine autorisée, dans ce cas, le Conseil « pourrait, dans un premier temps, attendre que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle avant, au besoin en ayant sursis à statuer, de le faire sur la QPC. Dans un second temps, il statuerait au fond au vu de l’arrêt de la Cour [de Luxembourg]». Néanmoins, note les Nouveaux Cahiers…, si elle est retenue, une telle interprétation de la Constitution lui « interdit » (sic) « de juger une disposition législative transposant des dispositions inconditionnelles et précises d’une directive » et il « doit » (resic) alors « se borner (…) à constater que lesdites dispositions législatives ne portent atteinte à aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». C’est pour cela que, préservant ses arrières, il est précisé que dans la décision commentée on n’est en présence ni d’ « un cas d’incompétence », ni d’ « un cas d’irrecevabilité » mais d’un non-lieu « pour réserver l’hypothèse où la Cour de justice censurerait la directive dont est issue la disposition législative contestée »….
Cela traduit la volonté du Conseil constitutionnel de trouver une issue à l’impasse dans laquelle il s’est enfermée lui-même en refusant, même dans le cadre de l’article 61-1 de la Constitution, d’effectuer un contrôle de conformité au droit de l’Union européenne. En effet, dans la mesure où il est rapporté que le Conseil pourrait attendre la réponse de la Cour de Luxembourg à une question préjudicielle, il pourrait parfaitement se reconnaître compétent la poser, lui-même et, ainsi, développer un réel dialogue entre contrôles de constitutionnalité et d’ « unionité », reposant sur l’existence de garanties effectives équivalentes aux règles et principes constitutionnels dans le droit européen, comme le font un grand nombre des juges constitutionnel en Europe mais aussi son voisin du Palais royal (CE, Ass. 8 février 2007, Arcelor-Atlantique, n°287110).
Cons. constit. n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, M. Kamel Daoudi [non lieu à statuer]
Actualités droits-libertés du 17 décembre 2010 (2) par Serge SLAMA
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